phase_iv.jpg, déc. 2023
"We knew then, that we were being changed... and made part of their world. We didn't know for what purpose... but we knew, we would be told."

Phase IV est un film intimidant, en tant que film culte de science-fiction des années 70 étant cité de manière très large dans des horizons divers, laissant également entrevoir une sorte de déception nécessaire, que ce soit à la découverte comme beaucoup d'œuvres dites cultes ou même (voire surtout) lorsqu'il s'agit de reposer dessus des yeux endurcis par dix années de cinéphilie / cinéphagie.

Entre-temps, j'ai pu parcourir la filmographie de Saul Bass — dont c'est l'unique long-métrage, l'histoire est connue, étant donné le four du film à sa sortie, ce dernier n'ayant acquis le statut de film culte que plusieurs années plus tard à l'occasion d'une nouvelle phase de diffusion. Cela ne l'a pas pour autant stoppé dans le processus de réalisation, puisqu'il est l'auteur d'une petite dizaine de courts-métrages étalés entre les années 60 et 80, souvent sur des thématiques de science-fiction, parfois du côté de l'animation, et en collaboration avec sa femme Elaine Bass à l'occasion de deux courts, The Solar Film (1980) et Quest (1984). C'est aussi pour son travail de graphiste qu'il jouit d'une excellente réputation, que ce soit pour la création de génériques ou d'affiches, en collaboration avec des monstres comme Otto Preminger, Alfred Hitchcock ou encore Martin Scorsese — voir à ce titre Bass on Titles, réalisé en 1982.

Deux choses choquent pas mal à la revoyure : la douleur d'un scénario poussif par endroits, et l'originalité globale qui se maintient très nettement.

C'est du côté de la direction des quelques acteurs que Phase IV pèche le plus lourdement, que ce soit dans la conduite de l'expérience scientifique avec son côté très désuet et ampoulé ou dans l'irruption du personnage féminin assez faiblement écrit. Le film n'est pas long mais souffre énormément de ces séquences trop mal foutues qui pouvaient éventuellement mystifier la foule des années 1970, alors qu'elles apparaissent aujourd'hui dans toute leur esbroufe. J'ai beaucoup de respect pour tout l'attirail de l'instrumentation analogique, les câbles, les vieux écrans d’oscilloscope où l'on voit les électrons former les spots fluorescents, mais le plan des deux chercheurs est quand même particulièrement rudimentaire. On peut dire que les fourmis sont infiniment plus passionnantes que les humains...

En revanche, immense respect pour la mise en scène des fourmis, systématiquement filmées en gros plan de façon à établir une équivalence avec l'espèce humaine, avec une gradation géniale dans la menace qu’elles font peser. Il faut apprécier le délire de formaliste, mais ces fourmis qui évoluent dans des sortes de catacombes aux formes très géométriques, ça produit un effet franchement stupéfiant — qui sera en plus exacerbé par la fin alternative, lorsqu'un personnage y sera projeté, occasionnant une sorte d'aperçu glaçant de ce qui attend l'humanité. Saul Bass est parvenu à leur conférer une intelligence tangible, dans leur réaction face au poison jaune, ainsi qu'une agressivité nette, au travers des nombreuses structures construites pour malmener la vie des protagonistes. C'est en tous cas une réussite sur ce plan-là bien au-delà de ce que le faux documentaire The Hellstrom Chronicle ("Des insectes et des hommes") avait pu proposer quelques années auparavant en 1971, même si les points communs sont loin d'être négligeables.

La réputation de Phase IV (une phase qui ne sera d'ailleurs jamais racontée, puisqu'elle démarre à la fin du film, début d'une nouvelle étape dans le plan des fourmis plus extraterrestres que jamais) reste donc à mes yeux justifiée, au moins en partie, pour la quantité impressionnante d'images qu'elle incruste dans les rétines. Les reflets métalliques des carapaces, les sortes d'enterrements ou cérémonies organisées dans leurs catacombes, le bout de poison traîné dans la souffrance jusqu'à la reine, quelques fragments morbides évoquant la catastrophe nucléaire, et même les sons générés par leurs communications... On n'est pas loin du film sur une apocalypse, en tous cas une série B de haute tenue au sujet de la fin de la domination de l'être humain sur son environnement, bizarrerie au sein du Nouvel Hollywood qui trouve un écho vraiment étrange avec les préoccupations écologistes de notre époque.

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