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"Who are the police going to believe - you or me that was a special constable for ten years?"

Metteur en scène polyvalent par excellence, ne pouvant être associé ni une signature visuelle ni à une thématique particulière, Richard Fleischer est de ces réalisateurs que la critique peine à faire rentrer dans la "théorie de l'auteur" (il n'y a qu'à voir comment, quand il y a quelques années des éditeurs de DVD le remettait à l'honneur, les Cahiers du cinéma, se trouvant obligés d'accorder ce label de prestige à un artisan qu'ils avaient longtemps dédaigné, se justifiaient maladroitement). Tout au plus ressortait fréquemment, dans les intérêts récurrents d'un cinéaste qui se destinait d'abord à des études de psychologie, l'exploration de la psyché et du comportement de criminels, au travers d'une trilogie informelle tirée de faits divers célèbres et composée de Le génie du mal (Compulsion), L'Etrangleur de Boston (The Boston Strangler) et L'Etrangleur de Rillington Place, auxquels on pourrait me semble-t-il ajouter La fille sur la balançoire ( The Girl on the Red Velvet Swing).

Le plus tardif du lot, 10 Rillington Place est un projet qui tenait particulièrement au cœur de Fleischer car il lui permettait de s'élever de nouveau contre la peine de mort, comme il le fit avec Le génie criminel (à la fin duquel l'avocat joué par Orson Welles livrait une plaidoirie mémorable).

Le film est l'adaptation du livre-enquête éponyme de Ludovic Kennedy qui fit sensation en Angleterre, au point qu'on lui attribue une influence non négligeable sur l'abolition de la peine capitale dans ce pays.

Il revient sur l'affaire Christie-Evans qui défraya la chronique judiciaire londonienne entre 1949 et 1953.

Crâne dégarni, portant lunettes, ne parlant qu'à voix basse (conséquence psychologique d'une attaque au gaz moutarde durant la 1ère Guerre Mondiale), John Christie est un homme aux autours inoffensifs, qui ne laissent guère présager de ses pulsions meurtrières. Il est joué par Richard Attenborough. À l'époque, le futur réalisateur de Gandhi n'avait pas encore été anobli mais il était un des acteurs préférés des Anglais et bien qu'ayant d'abord frappé les esprits en incarnant, sur les planches comme à l'écran, un jeune chef de gang dans Brighton Rock, on l'associait surtout à des personnages sympathiques (dans La grande évasion, La canonnière du Yang-Tse...) Pour les spectateurs de ma génération, il était surtout le grand-père de Jurassic Park (un peu imprudent, mais pas un mauvais bougre...) Bref, pas vraiment le premier nom qu'on associerait à un rôle de tueur en série.

Dans le meublé qu'ils louent à l'étage de leur demeure, Christie et sa femme accueillent un jeune couple : Timothy et Beryl Evans. Ils ont un enfant en bas âge et très tôt la jeune femme révèle à son époux qu'un deuxième est en route mais qu'elle ne le portera pas à terme, faute de revenus suffisants pour s'occuper de deux enfants. Le jeune homme s'oppose dans un premier temps à la décision de son épouse, cependant celle-ci, au tempérament moderne et affirmé, finit par le convaincre. Reste à procéder à l'avortement, ce qui n'est pas une mince affaire.

C'est là qu'intervient John Christie et que se noue le nœud du drame. Prétextant quelques compétences médicales (le prologue nous montre que par le passé ce subterfuge lui permit de gagner la confiance d'une autre de ses victimes), il se propose d'opérer lui-même, à moindre frais. Pour le psychopathe, l'occasion est trop belle pour agresser sexuellement la jeune femme, la tuer et mettre sa mort sur le compte du risque inhérent aux avortements clandestins. Christie doit ensuite s'assurer que le mari gardera le silence ; et il compte, pour le persuader, sur l'emprise psychologique. Il a bien vu que le jeune homme, complexé par son illettrisme, n'affiche pas une grande force de caractère (dans le rôle de Timothy Evans, John Hurt livre une de ses premières grandes interprétations, traduisant à merveille la fragilité et l'ambiguïté du personnage).

Drame humain, le récit est aussi celui d'un drame social, la pauvreté, le manque d'éducation et leur poids dans les rapports de classe condamnant tout autant les plus démunis que ne le fait la justice des tribunaux. Pour rendre cet aspect, le décor a son importance. Les plans extérieurs de la rue ont été tournés sur les lieux du crime (qui ont bien changés : ironiquement, ils se fondent aujourd'hui dans le quartier chic de Notting Hill). Le logement des Christie et Evans, ainsi que l'arrière-cour, ont eux été reconstitués en studio. Le rendu est remarquable mais plus remarquable encore est la mise en scène de Fleischer. En effet, pour mieux rendre l'exiguïté des lieux, le réalisateur s'est refusé à agrandir le décor ou installer des panneaux coulissants pour faciliter la manipulation des caméras. Malgré cela, la fluidité des images est exemplaire. Fleischer, qui a été de ceux qui ont su le plus habilement tirer profit de l'ampleur du Cinémascope, avait montré dès 1952 avec L'énigme du Chicago Express qu'il maîtrisait aussi bien les petits espaces ; il signe là un autre modèle du genre.

Une mise en scène acérée était également cruciale pour la séquence de la pendaison et celle-ci s'avère d'une sobriété exemplaire. À noter que Fleischer a fait appel aux conseils techniques d'Albert Pierrepoint, le dernier bourreau d'Angleterre, qui exécuta lui-même Evans et Christie (il rapporta l'anecdote que ce dernier se plaignit que la cagoule le démangeait, à quoi il répondit que cela n'allait pas le gêner longtemps).

Drame conjugal, thriller en huis clos, chronique judiciaire, 10 Rillington Place est un film qui m'avait frappé lorsque je l'avais vu pour la première fois, adolescent. À le revoir aujourd'hui, il n'a rien perdu de sa force et sa justesse.

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