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"Fate is a placebo. The only life path, the one behind you."

Un Fincher majeur, ce n'est pas pour demain, il faudra s'y faire. Mais des films comme Gone Girl (2014) laissent malgré tout un peu d'espoir, on guette le coup d'éclat, encore. The Killer ne donne pas l'impression d'avoir des ambitions débordantes, malgré quelques dispositions qui finissent par être un peu encombrantes — l'influence de Melville avec Le Samouraï paraît indissociable, les quatre phrases que Michael Fassbender répètent comme un mantra ("Stick to your plan / Anticipate, don’t improvise / Trust no one / Fight only the battle you’re paid to fight"), la répétition de certains motifs comme les trajets en avion, les changements d'identité, le réseau capitaliste de marques qui bordent son chemin, et in fine cette voix off très envahissante qui ne compense pas toujours élégamment le mutisme du personnage suivi. Même le recours à la musique des Smiths se fait un peu obsessionnelle et peu constructive.

Mais la série B reste pourtant de qualité, Fincher n'est pas un tâcheron, il a abandonné sa lubie d'auteur qui irriguait Mank et se concentre sur un thriller sec en cherchant à explorer quelques zones originales. Ce qui est drôle, c'est que Fincher nous fait croire à un portrait de professionnel du métier, un tueur expert qui nous bassine pendant 20 minutes sur les détails de son mode de fonctionnement en introduction (à grand renfort de citations qui claquent un peu trop ostensiblement, comme "Of the many lies told by the U.S. military-industrial complex, my favorite is still their claim that sleep deprivation didn't qualify as torture", ou "Of those who like to put their faith in the inherent goodness of mankind, I have to ask, based on what, exactly?" ou encore "My process is purely logistical, narrowly focused by design. I'm not here to take sides. It's not my place to formulate any opinion. No one who can afford me, needs to waste time winning me to some cause. I serve no god, or country. I fly no flag. If I'm effective, it's because of one simple fact: I. Don't. Give. A. Fuck" — on pourrait continuer encore longtemps) pour finalement rater sa cible en guise de hors d'œuvre — un échec qui met direct la puce à l'oreille, le scénario prenant un tout autre chemin que celui escompté. En fait Fincher met en scène davantage un ouvrier qualifié qui se plante régulièrement et qui cherche à se convaincre pendant toute la durée du film, en alternant des séquences extrêmement froides, sérieuses et tendues avec d'autres brèves irruptions d'un humour noir (le plus parlant étant probablement l'épisode de la râpe à fromage). Il y a quelques tentatives de verser dans un classicisme sans doute marqué par un excès de confiance, à l'image de l'échange avec Tilda Swinton (parfaite au demeurant, comme très souvent) sur leur métier commun, mais ne débouchant sur rien de follement pertinent.

Finalement, The Killer peut se percevoir exclusivement comme l'observation d'une perturbation, l'erreur initiale qui s'immisce tel un grain de sable dans les rouages bien huilés par ailleurs, à l'origine d'une vengeance à travers le monde prenant une ampleur de plus en plus importante. Fincher oblige, on peut y lire un essai sur notre contemporanéité au travers du contrôle de nos vies pas un système ultra-connecté (des checkpoints réguliers, des badges incessants, des caméras de surveillance omniprésentes) qui aurait mérité d'être plus développé et un peu moins focalisé sur ses effets souvent tape-à-l'œil. Quelques séquences bien foutues rythment l'ensemble, on se rappellera l'utilisation du cloueur et la grosse baston avec Sala Baker, et dans l'ensemble une histoire portée par Fassbender souvent captivant, même s'il file vers un épilogue un peu mou, cliché et facile sur une désillusion un peu amère ainsi qu'une déchéance consentie.

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