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Müller au Congo : "for liberté, fraternité and all that, you know these sayings..."

Le format du docu est on ne peut plus simple : Walter Heynowski et Gerhard Scheumann, deux journalistes en RDA, se font passer pour une chaîne télé ouest-allemande et interviewent à cette occupation Siegfried Müller, également connu sous le nom Kongo Müller — un officier allemand, ancien nazi ayant combattu dans la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale, puis comme chef d'un groupe de mercenaires engagé dans la guerre civile du Congo dans les années 60.

Le résultat est tout aussi clair : une heure durant, l'alcool aidant, l'homme raconte sans trop de retenue son parcours militaire et sa conception de la géopolitique du milieu du XXe siècle. Et c'est glaçant, car cet homme qui rit est un de ces personnages illustrant à merveille ces fois où la fiction dépasse allègrement la réalité, un militaire parfaitement à l'aise, suscitant presque une certaine sympathie si on n'écoute pas ce qu'il raconte et tous ses mensonges qui cachent péniblement des horreurs atroces — des inserts photos et des témoignages externes rajoutés au montage sont là pour établir cette triste vérité.

On est dans la droite lignée de ces films documentaires qui regardent en face ceux qui ont donné la mort, dans un style certes beaucoup moins élaboré (il s'agit d'un entretien très classique) : The Act of Killing de Joshua Oppenheimer en 2013 sur un massacre indonésien et L'armée de l'empereur s'avance de Kazuo Hara en 1988 sur un incident macabre en Nouvelle-Guinée y sont étroitement liés. Fringant, posé, en toute décontraction, mis à l'aise par le procédé utilisé par Heynowski et Scheumann (dont la finalité m'échappe un peu je dois l'avouer), Müller nous narre tranquillement et jovialement ses faits d'armes. De manière non-chronologique, il évoque ses pérégrinations (comprendre : exactions) au Congo, son aspiration à un impérialisme occidental qu'il exprime comme la défense d'un système de valeurs (raciste, en l'occurrence, sur fond d'anti-communisme) partagé via l'OTAN, son soutien au régime d'apartheid sud-africain ("for liberté, fraternité and all that, you know these sayings...") et bien sûr sa carrière à travers les âges dans l'Allemagne nazie. À ce titre The Laughing Man offre une vision assez troublante de la continuité, jamais nommée ici, entre le nazisme déclinant et l'impérialisme occidental en expansion en Afrique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Le visage de cet homme en tenue de l'armée congolaise, arborant la croix de fer qu'il a obtenue en 1945, parlant avec beaucoup d'affection de son camarade qu'on peut voir fièrement poser pour la photo avec des crânes, est vraiment terrible. D'autant que loin de se vanter des atrocités commises, il avance dissimulé derrière le voile mensonger d'actions prétendument pacifiques. Comme une excroissance émanant de l'échec de la dénazification, on n'est pas étonné qu'il fasse le lapsus Troisième Reich / RFA.

img1.jpg, juil. 2023 img2.jpg, juil. 2023 img3.jpg, juil. 2023 img4.jpg, juil. 2023