clou_dans_la_botte.jpg, fév. 2022
Agitprop de ferrailleur

Plus je parcours leurs filmographies respectives et plus je trouve que l'expression formaliste radicale de Mikhaïl Kalatozov et celle de Kaneto Shindō entrent en résonance, comme un parallèle entre la Russie soviétique et le Japon avec comme dénominateur commun temporel les années 50/60. C'est la simplicité extrême du scénario de Un clou dans la botte qui m'a rappelé l'équivalent du côté de L'Île nue notamment, où comment un soldat se retrouve jugé au tribunal pour avoir failli dans sa mission à cause d'un clou ayant transpercé sa semelle. Bien sûr les modes d'expression cinématographiques, s'ils se rejoignent dans la forme, n'ont aucune base commune : aucune trace de propagande chez le réalisateur japonais, là où les débuts de Kalatozov sont charpentés par les ordres soviétiques — quand bien même il aurait essuyé des mouvements de censure, particulièrement dans les années 20 et 30.

Ce formalisme-là, étonnamment en première intention, n'était pas apprécié par le régime soviétique : s'il y a la radicalité d'un discours de propagande, on peut comprendre que les accents surréalistes qui pourraient rappeler un Buñuel par exemple ne soient pas au goût de la censure. Reste un film qui donne une vision pas éminemment glorieuse du soldat soviétique, puisque le héros échoue dans sa mission à cause d'un vulgaire clou. Là où toute la première partie est dévouée à la démonstration de la puissance de feu d'un train militaire, la seconde s'empare de la question de la faute avec un procès typiquement stalinien : le soldat est accusé d'avoir failli, d'avoir déçu sa mère patrie, et d'avoir laissé ses camarades restés dans le train périr dans une attaque au gaz. Un renversement de situation plutôt improbable retourne cependant la conclusion : la faute revient en fait aux fabricants de chaussures, pardi ! Si le clou a traversé la botte, c'est parce qu'elles n'étaient pas bien confectionnées ! On aurait pu célébrer les fabricants de clou ceci dit, m'enfin... Le message est clair : tout comme les soldats au front, tous ceux qui restent à l'arrière doivent donner leur maximum.

On retrouve du début à la fin le moteur de ce formalisme si particulier, ce montage percutant, frénétique, parallèle, asséné avec force pour inciter à la cohésion de la population. Le schéma est simple : une pauvre petite botte défectueuse et c'est tout un arsenal national qui peut périr. Mais en dépit de cette simplicité acharnée — un peu trop excessive à mon goût, dois-je avouer — j'adore toujours autant la dynamique de l'emballement retranscrite en langage visuel follement éloquent. Encore un morceau d'agitprop pure et dure, et mention spéciale, tout de même, à ce train blindé particulièrement photogénique.

img1.png, fév. 2022 img2.png, fév. 2022 img3.png, fév. 2022