une_nuit.jpg, nov. 2023
Déambulation romantique aguicheuse mais mitigée

Changement radical de registre pour Alex Lutz, après son Guy lunaire et insaisissable, puisqu'il fait le choix pour Une nuit de l'errance romantique à laquelle s'adonnent une femme et un homme interprétés par Karin Viard et lui-même. Une bousculade dans le métro bondé, une engueulade, et les voilà partis pour la soirée jusqu'au petit matin dans les rues de Paris après avoir baisé dans un photomaton. Le programme ne déborde pas de ce cadre très restreint, moyennant une pirouette finale pas forcément des plus inspirées et annoncée par les quelques images plus ou moins subliminales qui sont égrainées pendant le film.

Et en toute franchise, étonnamment, ça fonctionne souvent, au gré des situations et des improvisations qu'on peut deviner derrière la fluctuation des dialogues, tantôt drôles et inspirés, tantôt plats et convenus. Il suffit d'un détail de scénario (chacun balance le portable de l'autre à l'eau) pour rapprocher les deux personnages et les envelopper d'une atmosphère nocturne attachante, atmosphère très particulière qui se dégage des rues majoritairement désertées de la capitale. On sent bien qu'il y a quelques trucs qui clochent, le fait qu'ils se vouvoient après la séquence de sexe, quelques questions desquelles émergent des réflexions très intimes, des sursauts émotionnels qui pourraient paraître incongrus selon la situation... Mais ce ne sont que des signaux agréablement parasites (si l'on choisit de ne pas trop les interpréter) qui viennent dynamiser la narration et relancer les interrogations sans altérer l'immersion — sauf peut-être si on se doute trop prématurément de l'objet de cette balade de nuit : à titre personnel j'ai passé la dernière heure à voir deux films, celui qu'on est censé voir la première fois, en toute naïveté, et celui qu'on voit si l'on a anticipé le twist final, produisant une sorte de "deux visionnages en un" pas toujours très agréable.

J'ai du mal à voir la révélation finale comme quelque chose qui enrichit Une nuit, au contraire j'ai la sensation qu'elle alourdit considérablement l'histoire, avec une charge sentimentale bien trop pachydermique — l'idée n'est pas mauvaise, mais j'aurais infiniment préféré une alternative plus orientée vers la suggestion légère. En revanche, indépendamment de ces considérations, Lutz et Viard évoluent dans une alchimie très réussie ("alchimie", référence à un dialogue du film à ce sujet, et à quelques expressions exhibant une poésie moisie qui les font marrer à tour de rôle) tout en donnant bien l'impression que la parenthèse enchantée peut voler en éclats d'une minute à l'autre. Cela pourrait être pour les raisons initiales avancées, deux inconnus qui se rencontrent par hasard et qui seront amenés à se séparer quelques heures plus tard, façon Before Sunrise, mais en réalité on est plus proche du déchirement de la séparation engluée dans les non-dits à la Brief Encounter de David Lean.

On peut imaginer qu'avec un peu moins d'impro (ou alors avec de l'impro mieux gérée), en évacuant les zones de flottement qui rendent poussifs certains échanges et en supprimant les effets ampoulés (l'arrivée du cheval, les violons tristes, etc), Une nuit aurait pu être largement plus réussi. En l'état, difficile de réprimer la sensation qu'une fois passée une première partie agréable, les promesses ne sont pas tenues et le film de s'enfermer dans une impasse en intensité décroissante. Pourtant Lutz est toujours aussi intéressant comme personnage, l'originalité de son style et de ce qu'il dégage en font quelqu'un de très attachant, et le film brille par ces moments de complicité fugace avec Viard, dont on ne comprend pas tout de suite la raison. Certains passages sont un peu bas du front dans l'idéalisme pour illustrer un thème (par exemple, la liberté en partant d'un resto sans payer), là où d'autres sont franchement singuliers (le club échangiste, séquence originale et drôle, quoique pas tout à fait exploitée). Mais quelle que soit la fin, malgré la haute concentration en clichés, la balade nocturne avance comme une capsule déconnectée du réel, hors du temps, où l'on expose les vulnérabilités de la quarantaine à la faveur d'un masque qu'on prétend porter.

img1.jpg, nov. 2023