À l'origine, Happy Accidents ressemble à une comédie romantique comme il s'en fait à la chaîne : Ruby, le personnage incarné par Marisa Tomei, discute avec ses amies au sujet de leurs ex pour égrainer les pires expériences qu'elles aient connues, et un jour elle tombe sur un homme différent des autres, Sam (Vincent D'Onofrio), et ce dernier, avec sa tendresse, sa simplicité et sa maladresse, lui fait se poser de nombreuses questions. Romcom affreusement générique a priori. Oui mais très vite après leur rencontre, Sam va lui faire une confidence peu courante : il viendrait du futur, il serait un voyageur tout droit sorti de l'an 2470.
Ce n'est absolument pas un film de science-fiction au sens où cette composante de voyage dans le temps, indépendamment de la véracité des propos avancés par cet homme au comportement bizarre, n'est jamais autre chose qu'un carburant pour des passages comiques ou des doutes existentiels. Ce n'est qu'un petit détail, une petite perturbation dont on observe l'étendue de l'onde de choc qui va crescendo tout au long du film. On sera fixé au moment de la conclusion, mais tout l'intérêt de Happy Accidents réside ailleurs.
À partir d'un type de personnage très codifié, une femme qui désespère de trouver l'homme de sa vie après avoir enchaîné les déceptions amoureuses, Brad Anderson parvient à tisser un récit presque parallèle avec l'irruption de Sam, ce qui s'apparente à un coup de foudre et à une première relation saine jusqu'à ce que les premières révélations fantaisistes émergent. Sur la base de cet élément perturbateur, le film donne à la classique thématique de la relation sentimentale dont on doute une coloration nouvelle, au travers du réseau d'incertitude qui assaille Ruby, coincée entre cet homme qui semble parfaitement sincère et son entourage qui lui impose un minimum de scepticisme. C'est dans ce mélange que Happy Accidents est le plus réussi, en faisant communiquer les indécisions typiques de la comédie romantique et les questionnements tout autant typiques d'un récit de science-fiction. L'échange entre les deux pôles est une source de péripéties assez savoureuses et alimente toute la dynamique de la relation entre les deux.
Pendant toute la durée du film, on ne cesse de se demander si ce gars est un malade mental qui plane complètement ou s'il est juste paumé dans son honnêteté littéralement incroyable. C'est quand même un mec qui balance sans réfléchir qu'il vit sur la côte atlantique à Dubuque (l'Iowa étant devenu un état côtier après la montée des eaux), que les manuels scolaires racontent l'épisode de la Grande Épidémie du 22ème siècle et que la religion est tombée en désuétude en 2033 lorsqu'on a isolé le gène qui régit la peur... On passe le film à se questionner sur son état mental mais aussi sur la nature même du film, sur fond de romance, s'agit-il de science-fiction ou de l'observation d'un cas psychiatrique ? Le suspense qui en découle est en tous cas très bien exploité, que ce soit sur le plan de la comédie ou sur les passerelles identifiées entre les deux options du scénario. Le final aurait très bien pu conserver la part conséquente de mystère plutôt que de clore le débat dans une péripétie renforçant la dimension romantique, mais Happy Accidents n'en reste pas moins une romcom hybride, singulière, et particulièrement réussie.
7 réactions
1 De Gilles - 23/11/2023, 20:28
Cela me fait penser à The man from the earth pour le personnage central qu’il faut croire ou ne pas croire, un film qui est dénué d’intérêt cinématographique, c’est un huis-clos dans un salon entre vieux amis, ce sont les dialogues qui concentrent le principal intérêt. Son réalisateur est inconnu au bataillon mais le scénariste Jérôme Bixby a écrit de la SF pour Richard Fleischer (le voyage fantastique). Une curiosité
2 De Renaud - 24/11/2023, 11:28
Très juste comme rapprochement (et j'ignorais les passerelles avec Fleisher, merci). Je rêve de voir ce film reproduit avec un peu plus d'ambitions cinématographiques...
3 De Nicolas - 24/11/2023, 11:32
Un chouette petit film.
Je regarde rarement des romcom mais j'avais tenté celle-ci par sympathie pour les deux acteurs principaux et ne l'ai pas regretté...
Le postulat singulier accentue les doutes et espoirs qui accompagnent toute nouvelle relation, dans un bel équilibre. C'est suffisamment pour insufler du romanesque au récit sans pour autant abandonner le réalisme.
(À la même époque, dans un tout autre genre, Brad Anderson signait un film d'horreur assez fort, Session 9. Malheureusement, il semble que ce fut le(s) pic(s) de son éclectique carrière.)
Oui. L'idée est belle mais la mise en images a tout du théâtre filmé.
4 De Renaud - 24/11/2023, 11:50
Très drôle (mais peu surprenant au final ) qu'on se rejoigne sur cette comédie romantique, moi-même n'étant pas un grand client non plus !
Je me souviens surtout de l'ambiance austère de Session 9 avec Peter Mullan dans cet asile désaffecté... Ambiance réussie, mais je n'avais pas trop accroché au scénario et à certains tics de réalisation en matière de cinéma épouvante-horreur. Dans certains cercles il est aussi très connu pour son The Machinist, avec une grosse performance physique de Christian Bale (comme souvent), mais ce n'est pas ma came.
5 De Nicolas - 24/11/2023, 12:15
Assez d'accord. Le décor est formidable et la fin, sans consession ; mais les trois actes du récit ne sont pas très bien équilibrés, je trouve, et certains effets, convenus (il faut définitivement trouver une variante à ces scènes où les lumières s'éteignent successivement dans les couloirs "à la poursuite" du pauvre protagoniste ! )
Non plus. Je n'ai jamais partagé la "hype" autour de ce film.
L'intrigue m'a paru assez vaseuse et le physique de Christian Bale tend à distraire du reste.
Et puis, je suis mal à l'aise avec les louanges concernant sa performance physique ; l'acteur est allé bien au-délà des limites que les médécins lui fixaient : je n'y vois pas de la bravoure mais de l'inconscience.
Quitte à le voir amaigri, je préfère encore que ce soit dans le Rescue Dawn de Werner Herzog (bientôt rediffusé : https://www.arte.tv/fr/videos/11312...)
--Pour revenir à Jerome Bixby, il est surtout connu pour sa nouvelle "It's a good life !" qui a donné un des épisodes les plus populaires de La quatrième dimension : https://www.youtube.com/watch?v=5rj...
(J'avais essayé son recueil, Appelle-moi un exorciste. Sans succès : j'avais trouvé ses textes assez vieillots.)
6 De Renaud - 24/11/2023, 12:46
Alors c'est très drôle parce que me pensais justement à l'abus de l'option de scénario "plombs qui sautent", utilisée à tort et à travers hahahaha.
Et nouvel alignement des astres, je suis un grand fana du travail de Herzog, donc effectivement Bale est bien plus convaincant dans Rescue Dawn je trouve aussi. Et au cas où tu ne le saurais pas déjà, il avait réalisé quelques années auparavant un film côté "documentaire" (guillemets de rigueur, il rejette totalement la notion de fiction VS docu, il dit faire des films, c'est tout, et s'amuse tout le temps à mêler les registres) sur exactement le même sujet, Petit Dieter doit voler, il est très sympa.
7 De Nicolas - 24/11/2023, 13:27
Je ne savais pas. Merci pour l'info !