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Londres, XXIème siècle. Un régime totalitaire fait régner l'ordre dans un climat de terreur omniprésente, secondé par une milice (« Le Doigt ») sans aucune limite. C'est en ayant affaire à elle qu'Evey Hammond (Nathalie Portman) fait la connaissance de « V » (Hugo Weaving, dont on ne verra jamais le visage), un justicier masqué qui la sauve in extremis d'une mort certaine. Inspiré par Guy Fawkes, catholique anglais du XVIème siècle et principal acteur de la « conspiration des poudres » qui visait à assassiner le roi le 5 novembre 1605, V projette de mettre fin au régime dictatorial en cette date anniversaire.

Le scénario de V for Vendetta fut assuré par les frères Wachowski, d'après la bande dessinée éponyme d'Alan Moore et David Lloyd. Après un fulgurant premier volet, la trilogie Matrix s'était quelque peu essoufflée, égarée entre un Reloaded par-ci et un Revolutions par-là... Les revoilàv.jpg trois ans plus tard, bon an, mal an, dans un film d'anticipation révolutionnaire — au premier sens du terme, c'est à dire en rapport avec une révolution politique, sociale, etc. — et avant un navrant Speed Racer. Qu'on se le dise : la dénomination de « film culte » qu'on voit fleurir un peu partout me paraît quelque peu exagérée. V for Vendetta n'est pas entièrement dénué d'intérêt, mais on ne peut s'empêcher de le voir comme une version édulcorée du Fight Club de David Fincher (qui fera l'objet d'un autre billet, j'en suis sûr), sorti en 1999 et adapté du roman de Chuck Palahniuk (1996).

Aussi, on peut regretter :

  • La rapidité avec laquelle est posée la situation. Le film aurait gagné en intensité et en profondeur si les événements clés suivants n'avaient pas été réduits à de vulgaires flashbacks : les conditions d’accès au pouvoir du « haut chancelier » Adam Sutler (pas mauvais John Hurt en Hitler des temps modernes), les conditions de rétention des opposants au régime, les causes de l'atonie caractérisée de la population etc. Et pourquoi pas évoquer la situation au niveau international, éludée dans le film.
  • Le manque de crédibilité d'un soulèvement soudain et massif de la population. Étant donné d'une part le zèle avec lequel le régime s'emploie à réprimer toute dérogation à la (sa) norme, et d'autre part la faible — mais incisive — prise de position de V en comparaison (démolition du symbole de la justice corrompue, attentats télévisuels, distribution de masques à grande échelle), il est difficile de croire en une telle implication populaire et unilatérale sans passer par la phase de « déconstruction ». Seule Evey semble y avoir été confrontée.
  • La confusion entretenue entre vengeance personnelle et révolution. L'emprisonnement et la torture de V constituent la base de son engagement terroriste, bien qu'il fût déjà impliqué sans l'opposition. Mais en s'appliquant à cibler les principaux responsables de sa propre condition, fort des références explicites au Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas (1846) — sans parler du titre même du film —, on peut avoir du mal à voir dans sa démarche autre chose qu'une vengeance froide et réfléchie. La violence ne servirait alors qu'un dessein très personnel, ne posant pas clairement la question : « La fin justifie-t-elle les moyens ? ».
  • L'emprunt aux théories anarchistes. sigle.jpgLe plus préjudiciable à mon sens. Les références sont plus ou moins explicites : le signe de V proche du symbole de l'anarchie, une rébellion face à l'ordre établi, une personne s'écriant « Anarchy in the UK! » (certainement un fan des Sex Pistols...), etc. anarchie.gifMais ces références restent vagues et superficielles, comme si les auteurs n'avaient voulu en retenir que les aspects les plus consensuels pour brasser un public plus large. Et se mettre à dos les amateurs de Proudhon, Fourier, Kropotkine, Bakounine et autres Reclus (hahaha)...

Certaines scènes brillent cependant par leur réalisation impeccable : les rues de Londres où résonne l'Ouverture 1812 de Tchaïkovski au travers des haut-parleurs du régime, certaines scènes de combat ultra-stylisées, la conjonction des explosions et des feux d'artifice en parfaite harmonie, la sérénité d'une femme qui attend sa mort (sans savoir qu'elle l'est déjà, morte), ou encore le suicide télévisuel d'un animateur de talk-show qui pensait pouvoir se moquer du haut chancelier sans en subir les conséquences.
Mais V for Vendetta ne pose pas la question inhérente à toute révolution : certes, il faut s’abstraire de l’aliénation sociale ou politique, mais comment éviter de tomber dans une autre forme d'aliénation ? À ma connaissance, un seul film a réussi à poser cette problématique en des termes corrects, dans le contexte de l'aliénation sociale et de la sphère consumériste : Fight Club, un des films les plus importants pour et de l'époque (1).


(1) Pour reprendre les termes
d'un blog philo passionnant : http://metamonde.over-blog.com.