Il se produit quelque chose entre Ozu et la pellicule couleur que je n'ai, je crois, jamais ressenti ailleurs. La superbe restauration de Herbes flottantes, remake 25 ans plus tard du presque homonyme Histoire d'herbes flottantes, ne fait que renforcer ce sentiment, comme si Ozu parvenait à composer ses plans avec autant de talent dans le choix des cadres que dans celui des couleurs, avec de temps en temps quelques teintes remarquées qui se détachent de la toile de fond pastel. Avec la description du Japon des années 50, avec ce mélange de drame et de petites touches comiques, c'est un peu comme si Tati et Mizoguchi avaient eu un enfant ensemble. Mizoguchi dont on retrouve d'ailleurs une thématique de prédilection ici, les déambulations et la condition d'une troupe d'artistes (sans véritable questionnement artistique ici, toutefois), croisée avec en demi-teinte une construction du mélodrame qui peut rappeler celle de Naruse — notamment cet ultime segment qui parvient à se hisser encore un cran au-dessus en matière de mélancolie.
Finalement, l'histoire de fond qui suit une petite troupe de théâtre kabuki en déplacement dans un petit village de pêcheurs ne sert que de prétexte à la rencontre entre le meneur et une habitante du coin (Haruko Sugimura, décidément fidèle à Ozu et très intéressante actrice). Tout le nœud du film est là : ces deux personnages ont eu une aventure dans le passé et de leur union est né un garçon qui ignore tout et pense qu'il s'agit de son oncle. Forcément, quand la maîtresse actuelle du chef apprend l'histoire et les raisons des absences répétées de son amant, piquée par la jalousie, ça part en cacahuète.
Tout est là. Le langage formel directement identifiable par son absence de mouvements de caméra, la composition des cadres d'une acuité plastique percutante, et les thèmes désormais usuels : la filiation problématique, les obligations familiales, la loyauté entre amis, les sacrifices consentis pour des proches, la solitude et le désespoir, l'amour et l'injustice... On est en terrain connu et pourtant le dénouement doux-amer délivre encore tout son venin acidulé. Absolument aucun jugement porté sur l'ensemble de la troupe, les comportements les plus déplacés s'en trouvent presque neutralisés par la tendresse du regard car, après tout, tout le monde a ses raisons.
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