vendredi 12 septembre 2025

Let’s Get Free, de Dead Prez (2000)

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Politique afro-américaine du rebelle

Un des albums de Conscious Hip Hop les plus percutants et francs que j'aie écoutés, sans l'ombre d'un doute. Bizarrement, le duo Stic.Man / M-1 aligne les gros pamphlets politiques avec une pertinence acérée, que ce soit au travers de cette intro mémorable (Wolves, avec sa métaphore du loup se tuant en léchant un piège et buvant son propre sang) ou dans la déclaration de I'm a African en suivant, et dans le même temps nous sort deux ou trois anomalies, comme les très cringe Mind Sex et Be Healthy, respectivement sur une sorte de sexe intellectuel et sur l'importance de bien manger... Sur le fond, pourquoi pas, bien sûr même, mais de là à en faire de telles chansons, je ne suis franchement pas convaincu.

Autre sensation étrange, pour l'anecdote : la voix de M-1 aka Lavonne Alford me fait énormément penser à celle de Denzel Washington, aussi je n'ai pas arrêté de voir l'acteur chanter...

Grand manifeste à vocation révolutionnaire, très lucide sur l'identité afro-américaine, armé de revendications qui n'ont pas perdu de leur acuité en 25 ans. Parfois quelques excès moralisateurs, parfois cette impression d'avoir l'équivalent rap US d'un adolescent arborant un t-shirt du Che (j'exagère, mais c'est l'idée sur un ou deux morceaux) (adolescent que j'ai été), mais le contenu est là. They Schools, We Want Freedom, ou encore Police State sont des bombes d'écriture.

Extrait de l'album : I'm a African.

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À écouter également : We Want Freedom,, Police State, et Wolves.

dead_prez.jpg, 2025/01/29

mercredi 10 septembre 2025

Gare centrale (باب الحديد, Bab al-Hadid), de Youssef Chahine (1958)

gare_centrale.jpg, 2025/08/18
La Bête humaine au Caire

Dix ans avant la très attachante coproduction russo-égytienne Un jour, le Nil structurée autour de la construction d'un barrage dans un territoire brûlé par le soleil, Youssef Chahine réalisait un film presque noir, mélodrame à connotation sociale, plongé dans son noir et blanc aussi élégant que contrasté. Gare centrale (Bab el hadid) se situe à la croisée de nombreuses influences, entre néoréalisme italien, dramaturgie états-unienne, esthétique soviétique, tout en parvenant à faire émerger un style très singulier qui ne repose pas uniquement sur les particularités locales — le cadre est celui d'une gare du Caire, avec ses milliers de passagers qui y transitent, mais aussi sa galerie de personnages qui y vivent semble-t-il en permanence.

Bien que le film soit découpé en deux parties presque distinctes, d'abord chronique sociale bienveillante avant de tourner au drame criminel quasi-horrifique, c'est la première qui occupe la place la plus importante. Le défilé de personnages pris dans leurs activités quotidiennes donne lieu à d'innombrables portraits tour à tour curieux, drôles, inquiétants : le narrateur travaillant dans un kiosque à journaux, un sans-abri paumé, boiteux et simplet qu'il prend sous son aile (Kénaoui, interprété par Chahine), un ballet de porteurs de valises au sein duquel évolue un des personnages principaux à l'origine de la création d'un syndicat (afin de lutter contre les conditions de travail déplorables), le groupe de femmes qui vendent des boissons à la sauvette... Le tableau d'ensemble est particulièrement fourni, riche en caractères différents et complémentaires, formant une sorte de microcosme péri-ferroviaire vraiment captivant.

Puis vient le temps de l'arc narratif proprement mélodramatique, celui qui prendra le dessus sur tous les autres dans la dernière partie : le pauvre Kénaoui (dont la personnalité obsessionnelle est plantée par les nombreuses photos de femmes affichées dans son taudis) est amoureux de Hanuma (Hind Rostom, excellente), cette dernière étant en passe de se marier avec le bagagiste Abu Siri (Farid Shawki, très bon également). Il n'en faut pas plus pour laisser entrevoir vers quelles contrées dramatiques ce triangle évoluera... Mais pas avant d'avoir traversé de nombreuses atmosphères, entre romance et comédie, agrémentées d'observations sociales et de touches de suspense autant que de tension sexuelle, et jalonnées de séquences mémorables — la longue scène de danse dans le train, centrée sur Hanuma, est éblouissante. L'engrenage de violence dans lequel s'enfonce Kénaoui est relativement classique dans ses mécanismes, mais il s'inscrit dans un contexte passionnant de mélange de cultures, quelque part entre La Bête humaine de Renoir et Des Souris et des hommes de Steinbeck.

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lundi 08 septembre 2025

L'Adultère (Измена, Izmena / Betrayal), de Kirill Serebrennikov (2012)

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Union des trompés

L'Adultère est probablement le drame le plus sobre que j'aie vue de la part de Kirill Serebrennikov, loin des effets très visibles (mais réussis, en ce qui me concerne) d'un Leto, loin de la démonstration un peu poussive d'un Le Disciple, et loin de l'ambiance tapageuse d'un La Fièvre de Petrov. Cela ne veut pas pour autant dire que le cinéaste russe avait abandonné toute forme d'initiative baroque en termes de mise en scène à cette occasion, mais il conservait malgré tout un certain sens de la gradation dans la dynamique, en plongeant toute la longue première partie dans une ambiance bleutée et glacée, avant d'opérer une sorte de décrochage narratif dans le dernier quart d'heure, laissant le champ libre à une sensation de perte de repères très prononcée.

La glaciation de la première partie, 1h30 grosso modo, c'est celle qui étreint les deux protagonistes interprétés par Franziska Petri (elle) et Dedian Lilitch (lui), dépourvus de prénoms, lorsqu'ils apprennent successivement que leurs conjoints respectifs les trompent ensemble. Serebrennikov filme leur réaction dans une sorte de froideur hivernale, renforcée par la blancheur des cabinets qui servent de décors récurrents — elle est médecin — en passant par différents stades, le déni, la tentative avortée de confrontation, la volonté de pardon... L'infidélité subie leur fait perdre pied, de manière très différente l'une et l'autre, et la tentative de construire un bout de chemin ensemble n'exclura pas totalement un désir de vengeance pour le moins singulier. Et la dernière partie sera là pour brouiller les repères en adoptant un point de vue légèrement différent, du côté du personnage féminin (et non plus du duo trompé), esquissant les contours d'une folie à peine contenue.

Chronique d'un monde ébranlé, d'une révélation soudaine ouvrant sur un vacillement, qui donne à Serebrennikov l'occasion de déployer une toile opacifiante à moitié réussie, aux frontières de l'intelligibilité dans sa dernière partie.

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samedi 06 septembre 2025

Marquis, de Henri Xhonneux (1989)

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Dialogues avec le membre de Sade

Difficile de faire plus bizarre que ce film belge des années 1980 dont la direction artistique, les dialogues et le scénario ont été assurés par Roland Topor, sur la base d'un récit librement inspiré de l'enfermement du Marquis de Sade à la Bastille, mélangeant des plans en prises de vue réelles (les acteurs et actrices portant des masques animatroniques d'animaux) et en animation, et dans lequel le protagoniste passe l'essentiel du temps à converser avec sa verge dotée d'une conscience propre... Et pourtant, si on imagine sans peine que Marquis puisse provoquer un rejet frontal très puissant, il pourra également susciter une fascination tout aussi intense qui fera de ces 80 minutes un voyage passionnant, drôle et hypnotisant dans les geôles de la Bastille et à la fin du XVIIIe siècle.

La première chose qui frappe, avant de découvrir l'étendue du contenu grivois propre au libertinage et à l'imagination du marquis éponyme, tient au soin apporté à la réalisation. Les décors, les costumes, les masques, les séquences animées... Ça peut paraître incroyable dit comme ça, mais on ne tarde pas à se retrouver totalement immergé dans cet univers, alors qu'il s'agit de comédiens portant de conséquents déguisements en latex sur la tête, avec le chien Marquis embastillé pour comportement immoral, Justine la vache naïve enceinte du roi, Juliette la jument maîtresse dominatrice, Gaëtan le coq sadomasochiste, etc. La liste est longue et contient un rat geôlier bisexuel, un chameau ecclésiastique et comploteur, un cochon unijambiste trafiquant de charcuterie, et toute cette galerie de personnages forme un univers extrêmement cohérent avec des thématiques propres et des intrigues transversales très bien exécutées.

On oublie ainsi assez vite les masques pour épouser la veine obscène du film, avec sa composante trash imposante et ses multiples séquences qui distillent un malaise peu commun — sans doute déconcertant pour les uns, mais extrêmement comiques pour les autres, d'autant plus que l'humour très licencieux émerge de situations on ne peut plus sérieuses. À vrai dire, les conversations entre le marquis et son sexe deviennent très vite un élément absolument banal du récit, à l'origine de débats incessants à caractère philosophiques (parfois), sur fond d'intrigue policière et de Révolution française. Créativité et transgression vont de pair, débridées et sophistiquées, dans cette atmosphère fantasmatique peuplée de pulsions baroques, cruelles et ludiques.

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jeudi 04 septembre 2025

Slam, de Marc Levin (1998)

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"The wind is the moon's imagination wandering. It seeps through cracks, ripples the grass, explores the unknown. My love is my soul's imagination."

Slam (1998) de Marc Levin me donne l'impression d'être l'équivalent en plus authentique et plus confidentiel du très célèbre 8 Mile (2002) de Curtis Hanson, dans lequel le mi-rappeur mi-poète afro-américain interprété par Saul Williams aurait remplacé l'ouvrier joué par Eminem. J'ai beaucoup aimé la description de l'environnement (un peu détaillé mais pas tant que ça) et surtout de la personnalité du protagoniste, Ray Joshua, dans un cadre qui pourrait rappeler celui de la série The Corner, c'est-à-dire contenant les mots-clés quartier défavorisé des États-Unis, drogue, violence, avec la prison en plus et la toxicomanie en moins. On peut assez facilement dire que le rappeur et poète Williams porte le film sur ses épaules tant la caméra très mobile et très docu-fiction de Marc Levin gravite autour du personnage, que ce soit dans son quotidien des quartiers noirs de Washington, ses démêlés judiciaires liés à une deal ayant mal tourné, son passage en prison et sa découverte du slam — sorte de compétition de poésie sous la forme de joutes oratoires orientées hip hop.

Si j'ai beaucoup aimé le type de captation donnant à Slam des allures de semi-documentaire, avec cette impression constante de saisir l'action sur le vif, sans montage invasif, j'ai été un peu moins séduit par la trajectoire racontée. Le trait me paraît un peu épais, le mec des quartiers difficiles qui se fait arrêter en possession de drogue et jeter en prison, qui survit en milieu carcéral grâce à sa passion, son talent de rhéteur, et sa rencontre avec une enseignante travaillant dans la prison (Sonja Sohn, elle aussi arrimée à un lourd passif mêlant proxénétisme et drogue), pour finalement sortir grâce aux faveurs d'un dealer tombé sous le charme de son éloquence ayant payé sa caution, et trouver un nouveau sens à sa vie désormais placée sous le signe de la poésie. L'idée derrière tout ça n'est pas déplaisante, mais j'ai trouvé l'exécution un peu trop sommaire, pas forcément programmatique mais en tous cas orné de coutures un peu trop visibles et prévisibles.

La rime et la tchatche comme arme de combat pour rivaliser intelligemment avec les poings ou les flingues habituellement dégainés dans la rue, les talents en poésie entravés par les conséquences de l'appartenance à un milieu social : le décor joue toujours à la lisière de la surcharge, et quelques séquences sombrent fatalement dans un didactisme un peu gênant — l'exemple typique étant les retrouvailles entre Ray et le pote blessé lors du deal à l'origine de son incarcération (ce dernier voulant buter ses agresseurs) au cours desquelles il lui fait la morale sur le thème "brisons ensemble le cycle infernal de la violence" digne d'un manuel. Malgré tout, la figure du slam comme lien de solidarité entre deux codétenus ou comme rempart contre la violence carcérale (peut-être pire que la violence des rues) conserve une certaine beauté et une certaine sensibilité que Williams véhicule avec force et détermination.

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mercredi 03 septembre 2025

Un jour, le Nil (النيل والحياة, An-Nil oual hayat), de Youssef Chahine (1968)

un_jour_le_nil.jpg, 2025/08/18
Construction soviétique d'un barrage égyptien et inondation de terres nubiennes

Très attachant film de Youssef Chahine, qui m'a davantage convaincu que son évocation de Dovjenko dans Al-Ard (La Terre, 1970) tout en travaillant la même veine collaborative entre les deux pays, Égypte et Union Soviétique. Un film choral qui évolue en marge d'un chantier égyptien historique, la construction du haut barrage hydroélectrique d'Assouan, construit entre 1960 et 1970 — considéré comme l'un des plus importants au monde — et dont les images à connotation documentaire abreuvent régulièrement le récit fictionnel évoluant à la marge.

Un jour, le Nil (Al-Nil wal hayah), réalisé en 1968, est la version originale d'une œuvre qui ne plu ni aux autorités égyptiennes ni aux autorités soviétique, et que Chahine fut contraint de remonter différemment, afin de passer les filets de la censure, pour ressortir 4 ans plus tard sous le nom Ces gens du Nil (Al-nass wal Nil) — une version qu'il reniera, sans surprise. Ne l'ayant pas vue, je ne peux juger que la première version restaurée du montage.

La fiction prend place aux débuts des années 1960 à Assouan, sur les territoires d'Égypte où ont eu lieu les travaux titanesques afin de changer le cours du Nil, fermer l'ancien et inaugurer le nouveau. L'ouverture de cette nouvelle ère était bien sûr un terreau de choix pour célébrer la marche de l'idéal soviétique, au creux d'un cinéma de propagande parfaitement calibré. Mais étonnamment, Chahine n'épouse pas du tout cette narration idéaliste et préfère se consacrer à un autre récit, beaucoup plus mélancolique, tourné vers l'inondation (et donc la condamnation définitive) des terres ancestrales où vivaient de très nombreux Nubiens. L'histoire suit notamment le parcours de deux personnages, Barrak un adolescent nubien et Nikolaï un ingénieur de Leningrad devenus amis dans les alentours du chantier. Un film évoluant dans une forme très originale, orné d'une photographie particulièrement lumineuse (le soleil brille et aveugle presque par ses réflexions sur les étendues claires du désert omniprésent), et constamment découpé par des flashbacks illustrant une myriades d'intrigues parallèles qui impliquent des dizaines de personnages secondaires.

On parle autant des ingénieurs que des ouvriers, des Égyptiens que des Soviétiques, et le seul obstacle au sein de ce récit tient au mode de narration (que j'imagine hérité des méthodes de production soviétiques), avec des doublages constants imposés par-dessus les dialogues en langue russe — et ce en dépit de l'agréable voix off féminine. On navigue ainsi sans cesse entre Nubie et Stalingrad, au gré d'un chaos d'images passées, avec en toile de fond un scepticisme non dissimulé concernant la marche du progrès tel qu'il était édicté en ces lieux par la puissance soviétique. Les thématiques sont très nombreuses, entre désillusion politique et lyrisme poétique, entre inondation forcée des villages nubiens et hymne dévoyé à l'industrialisation, nourrissant une réflexion politique et sociale qui brille par sa lucidité et sa sensibilité.

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mardi 02 septembre 2025

Themroc, de Claude Faraldo (1973)

themroc.jpg, 2025/08/18
Chaos anar, cru et gras

Expérience totalement lunaire qui n'est pas tellement appréciable en soi (mise en scène minimaliste, esthétique vieillotte, zombies drogués en guise d'acteurs et d'actrices, pamphlet qui ne cherche pas la nuance, volonté de choquer à base d'inceste et d’anthropophagie, message au final un peu lourdaud avec le recul), mais qui retranscrit de manière aussi forte que particulière l'ambiance qui régnait dans la France contestataire radicale post-68, en réaction au climat pompidolien. Une cruauté et une férocité ouvertes, prises dans un fond de sauce bien cru que ne renierait pas l'humour trash et politique de Hara-Kiri, plutôt bon client en matière de provocation anarchiste. Autant dire qu'il reste encore pas mal de caractéristiques suffisantes pour choquer ou déranger encore 50 ans plus tard.

La plus évidente des bizarreries, c'est l'absence totale de dialogues qui ont laissé place à une suite ininterrompue de borborygmes gras — et le plus étonnant dans l'affaire, c'est qu'on comprend très bien le contenu de chaque séquence, à aucun moment on ne se retrouve paumé en termes de signification. Aucunement besoin de sous-titres. Tour de force mémorable. Et donc, des gens qui grognent animent cette comédie vacharde illustrant de manière on ne peut plus grossière le rejet présenté comme absolu de tous les codes de la société bourgeoise par l'ouvrier protagoniste, Michel Piccoli. La première de ses actions après s'être rebellé au travail : murer la porte d'entrée de son appartement et faire péter le mur donnant sur l'extérieur, créant de cette manière une sorte de caverne en haut de sa résidence. Le retour de l'homme de Néandertal...

À partir de ce moment, on monte d'un cran dans le niveau de n'importe quoi, avec toute la suite conditionnée par les assauts répétés de la police qui tente de déloger la tribu formée autour de Piccoli, désormais barricadée. Le niveau d'approximation est à corréler avec le nombre de personnages différents que chaque acteur interprète en parallèle, et on se surprend à voir passer les têtes de la bande du Café de la gare (Romain Bouteille, Coluche, Miou-Miou, et Patrick Dewaere dans un dernier moment de maçonnerie complètement foutraque). L'ensemble conserve une part conséquente d'intelligibilité tout du long, et si on peut apprécier l'immersion dans l'ambiance contestataire typique du début des années 1970 (anarchie revendiquée, rejet de la société de consommation et de toutes les formes d'autorité), la dénonciation de l'absurdité de la vie rangée, aussi insolite soit-elle, finit par tourner en rond et former une masse informe et indigeste.

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lundi 01 septembre 2025

In the Bedroom, de Todd Field (2001)

in_the_bedroom.jpg, 2025/08/18
"Ever notice that even the worst bastards have friends?"

Tentative de visionnage à la boussole, par curiosité, pour voir ce que le réalisateur de Tár produisait 20 ans auparavant, à l'occasion de sa première mise en scène et après une carrière dans l'interprétation. Étrangement ce n'est pas là où on attend In the Bedroom qu'il se révèle le meilleur, c'est-à-dire pas dans le drame familial faisant suite à la mort d'une personne, mais dans les commentaires indirects et secondaires qui jalonnent l'histoire principale, et ce à commencer par la relation entre les deux parents vieillissants parfaitement interprétés par Sissy Spacek et Tom Wilkinson. L'intérêt d'un tel film tient à tout ce que les apparences laissent penser dans la longue première partie introductive, et qui se révèleront beaucoup moins simples une fois la charpente effondrée.

Initialement, un seul petit nuage au tableau : la famille bourgeoise au centre du récit vit paisiblement avec la mère occupée à donner des cours de chant, le père pris par son métier de médecin, et leur fils promis au fameux brillant avenir des milieux favorisés, en couple avec une femme plus âgée que lui dont l'ex-mari tourne encore autour telle une ombre parfois menaçante. Pas de chance, c'est un homme violent. Le scénario exhibe ici ses faiblesses : dans la facilité que ce dernier antagoniste a à envahir l'espace, menacer l'entourage, et constituer un danger mortel, il y a quelque chose de dérangeant qui aurait pu être adouci avec un travail d'écriture un peu plus nuancé à ce niveau. On nous déroule un narratif assez connu et un peu pénible sur le thème de l'être maléfique dont il semble impossible de se débarrasser — un comportement qui changera complètement dans la dernière partie.

Field démontre ses qualités dans la direction d'acteurs, avec Nick Stahl dans le rôle du fils et Marisa Tomei (la co-protagoniste touchante dans Happy Accidents aux côtés de Vincent D'Onofrio) dans celui de la nouvelle petite amie. On aperçoit même Karen Allen (Marion dans Les Aventuriers de l'arche perdue !) mais c'est très anecdotique. L'ensemble du casting compose à la fois un tableau de famille complexe et une communauté attachante, avec son industrie de la pêche et ses petits diners. Lorsque la tragédie survient, l'événement traumatisant devient le catalyseur d'une prise de conscience au sein du couple formé par Spacek et Wilkinson, sur fond de projet de vie commun pas aussi clair que ce qu'on pensait, de rancœurs accumulées, et de silences pour mieux dissimuler les troubles profonds. Pour cet aspect surprenant qui fait oublier les quelques facilités scénaristiques, In the Bedroom mérite le détour.

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samedi 30 août 2025

Orlando, de Sally Potter (1992)

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"Same person, no difference at all. Just a different sex."

Quatre siècles d'histoire britannique parcourus en 1h30, du XVIIe au XXe siècle, à coups d'ellipses bondissantes de 50 ans, au creux d'un récit aussi baroque que sérieux, aussi esthétique que comique, initié au travers d'un ordre intimé par Elizabeth I (interprété par Quentin Crisp, ce qui fera sens plus tard) au jeune noble Orlando éponyme : ne pas vieillir. Toute la particularité du film, si l'on met de côté juste un instant son incroyable emprise graphique, tient au fait que le protagoniste est interprété par Tilda Swinton et que son potentiel androgyne tournera a plein régime. Une particularité extrêmement efficace sur la forme et riche de significations dont Sally Potter — en adaptant ici un roman de Virginia Woolf publié en 1928 — tirera largement profit.

Orlando est une bizarrerie de première catégorie, et pas uniquement pour l'avant-gardisme de sa réflexion sur la transidentité (même si elle reste secondaire, derrière la féminité) plusieurs décennies avant que le sujet ne jouisse d'une visibilité claire. Il fait partie de ces films qui peuvent vivement emporter quand bien même on n'accrocherait pas à tous les partis pris et à tous les rebondissements scénaristiques : simplement parce qu'il exerce une forme d'hypnose au travers de sa recherche esthétique incroyable, avec un soin remarquable apporté aux costumes, aux accessoires, aux décors, et aux lumières sur 400 ans. Regarder Swinton évoluer au gré des siècles, des courants et des genres est pour moi une fin en soi.

Curiosité insolite qui ne prétend jamais établir une vision encyclopédique de l'histoire anglaise mais qui malgré tout pose quelques jalons permettant de suivre les difficultés pour le personnage de Swinton à trouver une place dans le monde au fil des décennies. Une sorte de voyage dans le temps articulé autour d'une poignée d'époques et de lieux, nous faisant passer des jardins glacés de l'Angleterre géorgienne aux territoires désertiques de l'empire ottoman, sans qu'Orlando ne vieillisse jamais — le personnage, initialement masculin, se transformera en femme entre deux époques, après une confrontation traumatique à la guerre et une phrase adressée à la caméra : "Same person, no difference at all. Just a different sex". La seule constante réside peut-être dans la façon dont l'état du monde provoquera des transformations, intellectuelles, psychologiques ou physiques, chez Orlando. Tout ne fonctionne pas en matière d'humour et d'histoire, mais la tonalité anglaise décalée (comme cousine d'un Peter Greenaway, période The Draughtsman's Contract / Meurtre dans un jardin anglais et Drowning by Numbers / Triple Assassinat dans le Suffolk) alliée aux merveilles esthétiques permettent de faire pencher la balance du bon côté sans trop forcer.

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jeudi 28 août 2025

Le Signe de Vénus (Il segno di Venere), de Dino Risi (1955)

signe_de_venus.jpg, 2025/08/18
Tribulations sentimentales de deux cousines

Une satire comico-amère grinçante typique d'une partie du cinéma italien de la décennie 1950s, avec son étude de mœurs révélant les grands travers de la société de l'époque dans une ambiance à la fois légère et grave. La dynamique (à tous les niveaux) est amorcée par le duo Sophia Loren / Franca Valeri, toutes deux très bien dans les rôles de deux cousines partageant le même appartement à Rome, deux figures de femmes d'origine modeste confrontées aux aléas des courtisans plus ou moins nombreux et surtout plus ou moins bien intentionnés. Forcément, Loren incarne la jeune femme dévorée par les regards masculins à chacune de ses sorties, caractérisée en premier lieu par sa naïveté et son innocence (un peu pesantes et unilatérales à la longue il faut avouer), et Valeri occupe une position presque opposée, avec son physique beaucoup moins flamboyant et sa volonté beaucoup plus affichée (et compliquée) de trouver le fameux homme de sa vie.

Toute la mécanique comique et tragique tourne autour des échecs et des succès sentimentaux des deux personnages féminins, en quelque sorte prisonnières du carcan moral familial très puritain, et fatalement elles ne passent pas du tout au travers des mêmes péripéties — l'une n'a qu'à se baisser pour cueillir l'homme qui lui convient là où l'autre n'en finit pas de se faire des films, de simuler un suicide, d'afficher ses convictions morales, et d'avoir recours à une cartomancienne pour se bercer de douces illusions. On reconnaît assez vite le style de Dino Risi, très à l'aise dans les deux registres principaux, comédie et drame, tous deux également alimentés par du carburant de cœur. Aussi défile devant leurs yeux une belle brochette de personnages masculins, tous plus (gentiment) manipulateurs les uns que les autres : Vittorio De Sica (acteur ici) en poète fauché jouant la sérénade comme un professionnel pour se faire payer un resto, Alberto Sordi en voleur de voiture qui essaie à tout prix de refourguer son dernier coup (et auteur de nombreuses séquences collector), ainsi qu'un pompier beau gosse (Raf Vallone), un photographe introverti, etc. Pas la comédie italienne du siècle mais une galerie de personnages truculents qui, un peu comme Poveri milionari, laisse entrevoir le grand Risi à venir.

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