mercredi 14 juillet 2021

Randonnées en étoile autour du col, du refuge et des boums de Vénasque, près de Luchon

Profitant d'une fenêtre de quelques jours ensoleillés au milieu des orages de juin, conjurant ainsi la malchance qui nous avait détournés de la région pendant plusieurs années, nous sommes partis nous dégourdir les jambes et nous rafraîchir la tête dans la célèbre vallée luchonnaise.

A l’extrême sud de la Haute-Garonne, à une dizaine de kilomètres de la station thermale de Bagnères-de-Luchon (dit "Luchon", et non "Bagnères") se trouve Hospice de France, un lieu-dit, une auberge (encore fermée à ce moment), des ânes très curieux et un grand parking, départ de nombreuses randonnées. Ce sera notre spot de départ à 1400 m d'altitude pour rejoindre le refuge de Vénasque et explorer ce coin des Pyrénées, à la frontière de l'Espagne, aux portes de l'Aragon.

Au menu : 3 jours de randonnées, près de 40km et 3300 m de dénivelé positif. Enfin, presque 3, plutôt 2 et des poussières, étant donné le départ on ne peut plus tardif en ce samedi 12 juin, 15h30...

Émilie et Renaud.


N'hésitez pas à cliquer sur les images pour les afficher en plein écran.


INFORMATIONS DIVERSES

Tracé en 3D et dénivelé de la randonnée pour les trois journées.
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Jour1 (rouge), jour 2 (bleu) et jour 3 (vert).


RANDONNÉE

JOUR 1 : Hospice de France → Refuge de Vénasque
5 kilomètres, 900 mètres D+, 0 mètre D-.

Le premier jour, nous sommes "juste" montés au refuge de Vénasque, "juste" 5 km et "juste" 900 m de dénivelé dans les pattes. Court mais intense, au terme de moult lacets, le sentier relie la vallée de la Pique au refuge de Vénasque et ses magnifiques boums boums boums (autrement dit des lacs, en langue pyrénéenne). Là haut, à 2239 m d'altitude, la récompense est au rendez-vous malgré les nuages ! Et l'accueil du gardien au top, sans parler de sa cuisine ! Eh oui, nous avons opté en ce début de saison pour la formule gîte et couvert. Sans regret, le refuge de Vénasque est un bon pied à terre pour explorer le coin (avec bientôt un beau refuge tout neuf) et permet de s'émerveiller de la palette de bleus qu'offre l'enfilade des boums de Vénasque. A noter qu'en juin, les névés sont encore bien présents mais fondent à vue d'oeil. La toilette dans les boums glacés a été très rapide !


Le décor du départ impose directement son ambiance. On va se faufiler au fond de cette vallée.
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Les pentes sont particulièrement fleuries en ce mois de juin ! Une fois hissés en haut du mur, on peut admirer la quantité impressionnante de lacets qui filent vers le point de départ 900 mètres plus bas.
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Forcément, lorsque le soleil finit par percer à travers les nuages, tout devient plus beau et plus agréable. Les montagnes sont imposantes, une fois arrivés sur le plateau. Pour nous accueillir là-haut, en plus des marmottes et de Guilhem au refuge, nous avons fait la rencontre d'une charmante hermine (après s'être demandé ce que faisait un écureuil ou une belette dans les parages : non non, c'est bien une hermine, et on la recroisera plus tard).
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Et tout là-haut, au niveau des boums, une ambiance envoûtante. Le bleu glacé des lacs qui parfois tend vers le turquoise, le blanc vivifiant des névés, le vert de l'herbe grasse qui répond au gris sec des roches... Le tout enveloppé dans la brume extrêmement changeante qui modifie les paysages à une vitesse impressionnante.
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JOUR 2 : Refuge de Vénasque → Refugio de la Renclusa → Plan d'Aigualluts & Trou du Toro → Refuge de Vénasque
18 kilomètres, 1500 mètres D+ et D-.

Le deuxième jour, les paupières encore collées après une nuit agitée, nous partons en direction du port de Vénasque, col frontalier situé entre le pic de Sauvegarde (2 738 m) et le pic de la Mine (2 708 m). A 30 minutes de marche du refuge, ce couloir creusé dans la roche était un lieu de passage des réfugiés espagnols fuyant la guerre civile dans les années 1940. Passée cette porte, on change de décor. La vue est magnifique sur les deux géants ceints de leurs glaciers, la Maladeta et l'Aneto (point culminant des Pyrénées, 3404 m). Nous parcourons les sentiers aragonais pour rejoindre les sources de la Garonne en passant par le Refugio de la Renclusa, le Plan d'Aigualluts et le trou du Toro. Lieu très touristique, le trou du Toro est une curiosité géologique constituée d'une cascade qui se déverse dans une immense baignoire où l'eau transparente plongerait sous terre et réapparaît au niveau du Pla de Beret, vallée voisine, située dans le val d'Aran. Pas si spectaculaire que prévu... mais joli tout de même. Le plateau "plan d'aigualluts" au pied de l'Aneto vaut cependant le détour. Une grosse journée de rando (dont pas loin de 2 heures hors sentier à se tordre les chevilles dans des pentes raides remplies d'asphodèles) qui ne nous a pas tant fatigués puisque nous avons trouvé la motivation pour aller admirer le coucher de soleil au col de la Montagnette après le très bon repas de Guilhem. Joli spectacle !


Le bleu du matin est beaucoup plus froid, en montant à port de Vénasque.
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Dès qu'on passe le col, la vue sur le massif de l'Aneto est franchement magnifique. La flore change complètement.
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Autour du refuge de la Renclusa, montée à un "petit" col puis redescente sur le plan d'Aigualluts. Spot idéal pour casser la croûte au soleil et les pieds dans l'eau — dont la température estimée avoisine les 10 °C... Et le Trou du Toro, où le spéléologue Norbert Casteret déversa en 1931 (frauduleusement, en évitant d'être repéré par les carabiniers espagnols) des barils de fluorescéine pour démontrer que le cours d'eau constituait une des sources de la Garonne.
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Un long passage hors sentiers, sans risque mais fatigant à cause d'un dévers important. Très peu fréquenté, il laisse apercevoir de nombreuses marmottes tranquilles. La vue sur la vallée derrière nous est splendide.
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Fin de journée sur le col de la Montagnette, donnant sur le lac du même nom, pour admirer le coucher de soleil. Au fond, on peut distinguer l'observatoire astronomique du Pic du Midi de Bigorre.
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JOUR 3 : Refuge de Vénasque → Pas de l'Escalette → Hospice de France
14 kilomètres, 900 mètres D+ et 1800 mètres D-.

Le troisième jour, on attaque la boucle classique empruntant le chemin qui passe par le pas de l'Escalette, mais en ajoutant l’ascension de l'imposant pic de Sauvegarde. Un sentier très rocailleux (sans grosses difficultés par temps sec mais qui titille le vertige des plus sensibles) offrant à son terme un panorama époustouflant à 360° sur les sommets du Luchonnais, de l'Ariège et du Val d'Aran. Après cette grimpette matinale, la suite de l'itinéraire est tranquille, on redescend les 1800 mètres en traversant les petits vallons via le port de la Picade, le pas de l'Escalette, et la crête de Crabidès. La journée se finira dans les estives du large plateau du Campsaure où l'orage gronde....


Après la montée matinale jusqu'au pic de Sauvegarde, la récompense est au rendez-vous. Panorama magique, vues plongeantes sur tous les lacs des environs, spectacle imposant de l'Aneto et de ses glaciers.
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Un dernier petit tour du côté espagnol, un dernier regard en direction de la vallée de la veille. Une grande barre neigeuse à franchir au niveau du port de la Picade, et la face nord-est du massif que l'on aura contourné entre le début et la fin de cette escapade.
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La dernière partie de la randonnée est plus calme, en descente douce dans des sentiers enherbés.
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Au dernier moment, sur le plateau final jouxtant le parking de l'arrivée, l'orage tonne. On hâte le pas. On croise des vaches effrayées dans la forêt qui regagnent l'étable, et des brebis sur la route emmenées par le berger.
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JOUR 4 : balade bonus au Lac d'Oô

Petit bonus après une pause à Luchon, car on n'en n'avait pas assez : virée express au célébrissime Lac d'Oô.



Après avoir vidé une bonne part de l'eau qu'il contenait pour différentes raisons, il perd beaucoup de son charme, quand même. L'artificialité de ce réservoir n'en est que plus visible. Mais on peut tout de même s'amuser à essayer de faire de belles photos...
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Ici aussi, la pluie nous tombe dessus, mais ne nous empêche pas de profiter de la vue sur la vallée en redescendant. Plus tard dans la journée, on fera une halte sur le chemin du retour à Saint-Bertrand-de-Comminges, qui aura été presque plus agréable. Étonnant.
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lundi 12 juillet 2021

Bastogne, de William A. Wellman (1949)

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Les soldats oubliés

Bastogne est l'un des films de guerre prenant pour support quasi-matriciel la Seconde Guerre mondiale le plus prototypique que j'aie vu jusqu'à présent, dans son genre, c'est-à-dire le film de guerre désabusé sans être antimilitariste (la guerre du Vietnam n'est pas encore passée par-là) qui montre la guerre dans toute sa laideur. On est seulement en 1949 et Wellman, déjà, délaisse le spectaculaire des scènes de combats — même s'il y a bien quelques fusillades et autres lancers de grenades — pour se concentrer exclusivement sur le moral des troupes pendant la bataille des Ardennes, pendant l'hiver 1944. Un hiver brumeux, neigeux, glacial, pendant lequel la principale qualité requise reste le moral des deux côtés du front. Wellman s'intéresse plus particulièrement à un petit groupe de soldats américains cerné par les Allemands, refusant de se rendre, tandis que les stocks de munitions et de nourriture s'amenuisent.

C'est un film incroyablement dépourvu d'héroïsme individuel, les soldats étant presque des anonymes — et en ce sens interprétés par des acteurs très modérément connus. Un film sur la peur de mourir, sur l'horreur grandissante des escarmouches, avec la particularité de l'ennemi qui franchit les lignes alliées en se déguisant, inspirée d'une histoire vraie. En plus de la lutte contre le froid et la faim, en plus de la pénurie d'essence et de munition, les soldats doivent en plus se livrer à de fréquents contrôles qui deviennent presque comiques (à la lisière de la tragédie, tout de même) lorsqu'en plus des traditionnels mots de passe il faut également questionner la culture nationale pour s'assurer de l'identité des soldats qui passent : des questions sur le baseball, notamment, manquent de coûter la vie à un soldat américain pas très informé sur le sujet.

Pas mal de moments mémorables : les soldats qui se réveillent recouverts de neige, les doutes constants qui font qu'on croit que les Allemands déguisés sont partout, les raids aériens pour distribuer des tracts déstabilisants, jusque dans des détails comme la pénurie de morphine, le gel des grenades. Quelques éclairs de tension s'entremêlent avec le désespoir ambiant, que la scène finale de la permission enfin accordée ne peut effacer. La volonté d'appuyer sur la blessure psychologique est notable, avec des séquences presque oniriques lorsque les ombres se découpent tout juste à travers la brume et la neige. On est à la limite du survival ici, face à l'ennemi et les éléments, sans que les codes classiques du film de guerre (tactique, héroïsme, action) ne soient abordés. La confusion règne en maître et à tous les niveaux, jusque dans le hors champ.

combats.jpg, juin 2021 tombe.jpg, juin 2021 soldats.jpg, juin 2021 neige.jpg, juin 2021 fin.jpg, juin 2021

dimanche 11 juillet 2021

Mark Dixon, détective, de Otto Preminger (1950)

mark_dixon_detective.jpg, juin 2021
"I'll fix your head. — I suggest you use an axe."

Where the Sidewalk Ends est un archétype total du film noir, et de cette considération pourra naître deux réactions opposées, l'adhésion ou le rejet. L'occasion de se rendre compte, pour la énième fois, si besoin était, de la part écrasante de subjectivité dans l'appréciation (au sens neutre et dépassionné) : étant plutôt très bon client du genre, cette histoire d'enquêteur aux méthodes brutales se retrouvant dans une impasse morale suite à un accident a beau cocher toutes les cases du film qui respecte à la lettre les codes imposés, il n'en reste pas moins très attrayant en composant un portrait comme une touche complémentaire à la somme de tout ce que j'ai pu voir jusqu'à présent.

Autant dire que les clichés sont bien présents : les excès de violence peu contrôlables, les sanctions de la hiérarchie qui affleurent, la perméabilité des mondes de la police et des gangsters, la jeune femme qui fait tout plier sous son charme, le meurtre à dissimuler... Le film noir américain d'après-guerre dans toute sa splendeur. C'est même en quelque sorte le début d'une nouvelle ère dans le sous-genre du noir à caractère psychologique, puisqu'il y a le père du flic protagoniste qui lui évoluait au sein de la pègre, et la conscience qui envahit tout l'espace dans la dernière partie du film.

Une grande part de la réussite du film tient à mes yeux au duo d'interprétation Gene Tierney / Dana Andrews (avec une petite mention pour Karl Malden), 6 ans après leurs rôles dans Laura du même Preminger : la première en femme fatale malgré elle, le second en semi-privé bourru. C'est très calibré, mais c'est aussi bien huilé. Tout n'est pas optimal, on peut regretter le caractère impassible de Andrews un peu trop mono-expressif, tout comme la façon de poser le dilemme moral (homicide involontaire) ainsi que le semi-happy end rédempteur sur fond de réconciliation avec soi-même un peu rapidement expédié. Mais cette ambiance de polar urbain tellement 50s, le suspense guidé non pas par l'identité de l'assassin mais par le destin du héros, cette gestion du cadre toute en plongées et contre-plongées, forme un tout assez agréable au sein du classicisme.

andrews.png, juin 2021 gangster.png, juin 2021 tierney.png, juin 2021

vendredi 09 juillet 2021

In Search of the Last Action Heroes, de Oliver Harper (2019)

search_of_last_action_heroes.jpg, juil. 2021
Nostalgie des 80s

Même si j'ai trouvé ce "In Search of" consacré à l'âge d'or du cinéma d'action moins bien conçu et structuré que celui consacré au cinéma horrifique (dont je n'ai pas vu le "Part II" de 4h30, et qui donnait sans doute bien plus envie de découvrir des films, à tort ou à raison), et même si j'attends avec très grande impatience celui qui sera dédié à la science-fiction (sortie prévue fin 2021), c'est toujours une occasion en or d'alimenter une belle fibre nostalgique. À la fois un peu court, un peu superficiel, un peu fourre-tout et un peu bordélique, ça reste sur le même concept, à savoir pléthore d'interviews de personnes intéressées et passionnées qui transmettent leur excitation communicative sans forcer.

Les entretiens sont essentiellement organisés avec des personnes à la marge, mais aussi quelques célébrités : Paul Verhoeven, Shane Black, Bill Duke, Cynthia Rothrock, Eric Roberts, Michael Jai White, Steven de Souza, Philip Rhee, Zak Penn, Sam Firstenberg, Sheldon Lettich... On en parle beaucoup mais ils ne sont pas là : Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Bruce Willis, Charles Bronson, Chuck Norris, Cynthia Rothrock, Jackie Chan, Jean-Claude Van Damme. Comme base de discussion, parmi les moins fonds de tiroir : Die Hard, Bloodsport, Predator, Terminator (1 & 2), Rambo (1 – 3), Best of the Best, Total Recall, Lethal Weapon (1 & 2), Commando, Tango & Cash, Missing in Action, Mad Max. Sans surprise c'est plus la description de l'époque que le contenu des films que je trouve passionnante, avec des témoignages d'acteurs de premiers plans (réalisateurs, scénaristes, producteurs, acteurs) ainsi que de journalistes. Typique de ce genre de moment, on entend notamment, en l'occurrence au sujet de Stallone : "Here's a guy who went against the grain in everything that he ever did. Here's a guy who transformed himself, literally he chiseled his own body into this statuesque, muscular specimen". Les avis sur Pumping Iron sont assez drôles, aussi.

Sans doute est-ce lié un minimum à un effet générationnel, mais je me retrouve totalement dans l'expérience décrite par beaucoup d'intervenants, en tant qu'enfant / adolescent mis au contact de centaines de VHS allant du gros blockbuster à la série B miteuse. Les discussions autour de l'empreinte graphique, avec l'évolution des effets spéciaux (jusqu'à la prédominance des CGIs et au "wire-fu" popularisé par Matrix), sont tout particulièrement pertinentes, avec également pas mal d'anecdotes sur les contextes (et les inévitables difficultés) de production. Les tentatives de filiations sont un peu plus hasardeuses dans l'ensemble, mais en un sens contrebalancées par les questionnements autour des icônes hors-normes que sont Sly et Schwarzy.

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jeudi 08 juillet 2021

Des enfants dans le vent, de Hiroshi Shimizu (1937)

enfants_dans_le_vent.jpg, juin 2021
L'enfance

Grande lacune pour ma part en ce qui concerne la filmographie dense de Hiroshi Shimizu s'étirant du début des années 1920 à la toute fin des années 1950, et dont ce Des enfants dans le vent rivalise aisément avec les films d'Ozu sur le même sujet : l'enfance. Il est bien tentant de dresser un parallèle entre les films de ce dernier, que ce soit vers les débuts muets (Gosses de Tokyo) ou vers la fin en couleur (Bonjour), et ce film qui épouse de manière vraiment remarquable la hauteur du regard d'enfant. Tout le film est raconté du point de vue des enfants d'une famille, et plus précisément celui du plus jeune des deux, Sampei, un gamin turbulent qui n'a pas d'aussi bonnes notes que son frère Zenta mais qui en revanche sait très bien rallier tous ses copains du coin en grimpant dans des arbres et en imitant Tarzan. Les choses se gâtent quand le père se trouve accusé de détournement de fonds et est envoyé en prison : aux débuts très guillerets succède une partie principale plus en prise avec le mélodrame familial.

Les enfants sont envoyés à la campagne, pour soulager leur mère, chez leur oncle — Takeshi Sakamoto, un visage et une moustache qu'on n'oublie pas — et le drame se noue dans leur profond désarroi à l'idée d'être aussi loin de leur maison. Shimizu, en plus de la hauteur typiquement enfantine du regard, capture l'essentiel des péripéties, des humeurs et des états d'âme avec une grande distance, comme s'il s'interdisait de plonger frontalement dans le mélodrame. Et de fait la méthode fonctionne, sans doute grandement aidée par l'implication des enfants dans le film, tout à fait à l'aise et crédibles dans leurs rôles. Le sujet de la désintégration de la cellule familiale n'est pas simple, les tourments en lien avec le sort du père vécus de leur point de vue d'enfants non plus, et pourtant, le film brille par sa franche sincérité qui fait ressentir toutes ces émotions sans une once de pathos.

C'est que la perspective adoptée, entièrement concentrée dans les yeux des deux frères, permet de rendre compte de leur sort avec une vigueur très appréciable, comme si cette narration permettait de mieux comprendre le monde duquel ils sont extraits et celui dans lequel ils sont jetés. Les 400 coups chez l'oncle, les jeux avec leur bande, leur relation avec leur père (avec jeu de sumo), en brassant les thèmes du pardon et de la justice (le père sera reconnu innocent), forment le portrait d'une intimité de l'enfance saupoudré d'humour potache vraiment original. On en retrouvera un prolongement dans Les Quatre Saisons des enfants (1939).

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lundi 05 juillet 2021

La Rue sans joie, de Georg Wilhelm Pabst (1925)

rue_sans_joie.jpg, juin 2021
L'impasse

L'époque et le cadre, les années 20 à Vienne, n'étaient vraisemblablement pas porteurs d'un élan joyeux ou d'une joie communicative, si l'on en juge le contenu du film de Georg Wilhelm Pabst, c'est le moins qu'on puisse dire. Le titre annonce la couleur, toutes les couleurs, même : La Rue sans joie, c'est-à-dire le portrait double d'une rue et d'une misère. Une sorte de proto-film choral, avec un lieu très réduit dans lequel évolue une multitude de personnages — parmi lesquels on peut voir Asta Nielsen et surtout Greta Garbo, dont le maquillage épais vient accentuer les effets d'ombres et de lumières dans la continuité d'un expressionnisme allemand plutôt accentué.

La majorité de la population baigne dans une misère noire, sans aucun rayon de soleil, avec seulement des combines pour survivre. Des combines qui sont plus prosaïquement liées à la prostitution dans l'arrière-boutique d'un boucher, un personnage inique et particulièrement abominable. Une scène notable montrera comment une jeune fille se prostituera (en hors-champ bien entendu) dans ce lieu horrible, et comment le boucher la rétribuera par la suite avec un morceau de viande. De la viande contre de la viande. De l'autre côté, il y a tous les hommes d'affaire (un peu trop unanimement) véreux, particulièrement friands de spéculations financières en répandant des rumeurs de grève pour faire baisser l'action et maximiser les profits. Un magasin de vêtements abrite leurs affaires, tenu par un autre personnage sinistre de mère maquerelle. La confrontation des classes, avec les miséreux exploités par les bourgeois, dans toute sa splendeur.

Une vague histoire de meurtre et d'enquête policière constitue un autre fil rouge poursuivant son cours jusqu'à la fin où peu ou prou tous les arcs trouveront un happy end (éventuellement contraint, si l'on en juge les conditions de production). De riches spéculateurs qui se complaisent dans un luxe ostentatoire, des prolos sans emploi qui gisent dans les bas-fonds, les institutions impuissantes quand elles ne sont pas complices : la violence du propos et la crudité du ton sont assez étonnantes, quoiqu'un peu trop alignées dans une même direction sordide. Mais le tableau de la débauche, du vulgaire, du chic qui jouxte la luxure, est vraiment éloquent.

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mercredi 30 juin 2021

Le Fils de la jument blanche, de Marcell Jankovics (1981)

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Animation et imaginaire hongrois

"Cinéma hongrois des années 80", il y a de quoi prendre peur. Et pourtant, Le Fils de la jument blanche est un dessin-animé d'une incroyable vitalité, d'une puissante originalité et d'un psychédélisme teinté de symbolisme hypnotisant. C'est en tous cas le dosage adéquat en ce qui me concerne, le mélange subtil d'effervescence et de pragmatisme qui permet des envolées dans un imaginaire vigoureux sans pour autant donner l'impression d'être irrémédiablement paumé dans un univers auquel on ne comprend rien. Non pas qu'il n'y ait aucune zone d'ombre : de nombreuses séquences / explosions graphiques ne trouvent pas toujours de sens quand on n'est pas connaisseur de cette mythologie-là. À aucun moment cette distance avec le récit ne s'accompagne d'un quelconque désagrément : la plongée dans cet univers fou est très agréable du début à la fin.

C'est un film d'animation qu'on a envie de recommander à tous ceux qui cherchent quelque chose en dehors des sentiers battus et des grands studios de production dans ce registre. Marcell Jankovics embrasse une fable fantastique qui sait rayonner dans de multiples directions, tour à tour sombre et lumineux, parfois très lisible (au sens où la narration est parfaitement intelligible, à l'image d'un dessin animé classique) et d'autres fois complètement psychédélique au point de tendre vers l'abstraction la plus pure. Le cadre est très clair : une jument blanche donne naissance à trois enfants qui devront affronter trois dragons (qui n'ont pas vraiment l'apparence à laquelle on peut s'attendre d'un point de vue occidental) et délivrer trois princesses perdues dans un enfer. Le cadre ressemble à un Moyen Âge sous ecstasy, avec une imagerie très hypnotique, une ambiance prenante et des décors étranges. Le trait et la couleur sont d'ailleurs très singuliers.

Soit le périple de Treeshaker, Stonecrumbler et Ironrubber, trois demi-dieux lancés dans une quête mêlant poésie et métaphore avec beaucoup d'onctuosité, en alternant les passages de narration (presque) simple avec des moments ouvertement symboliques sur le thème de la sexualité, de la maternité, de l'affrontement, etc. Certains personnages antagonistes ont des airs presque cubistes là où d'autres semblent sortir d'un folklore hongrois à découvrir, sur une route jalonnée de détails mythologiques, paradis et enfer, démons maléfiques, cycles naturels, épreuves... Tout n'est pas directement et facilement interprétable mais le voyage est saisissant.

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dimanche 27 juin 2021

Lacombe Lucien, de Louis Malle (1974)

lacombe_lucien.jpg, mai 2021
Hasard, errance et hésitation

On comprendrait presque, à l'issue d'une telle salve, que Louis Malle ait été contraint à l'exil (même dans la France des années 70), et ce d'autant plus qu'il avait déjà marqué les esprits quelques années avant avec Le Souffle au cœur sur une thématique bien différente. Le décor est celui de juin 1944 dans le sud-ouest, près de Moissac, peu après le débarquement des Alliés en Normandie. Le film est entièrement dédié à la trajectoire du jeune ado de 17 ans, Lucien Lacombe, une trajectoire pour le moins erratique, chaotique, alternant entre tous les pôles antagonistes de la période et absolument pas mue par un quelconque idéal ou une quelconque conviction politique. Lucien Lacombe, c'est avant tout un ado qui voulait rejoindre le rang des résistants parce que son père avait été arrêté par les Allemands. Après avoir essuyé plusieurs refus, Louis Malle montre comment il intègrera la gestapo par hasard, un soir de couvre-feu, alors qu'il était bourré et en retard — drôle de résonance avec notre époque sur ce point précis. C'est ainsi avec une conviction tout aussi molle qu'il passera du côté de la collaboration, initié par l'alcool et la peur dans un premier temps, puis motivé par le sentiment de puissance que cette position lui procurait ensuite.

La collaboration selon Louis Malle (tout comme la résistance, en creux, et c'est bien cette partie-là du discours qui fit des étincelles à l'époque de la sortie du film) apparaît comme un événement anodin, une décision parmi tant d'autres, une conséquence noyée dans le flot des actions quotidiennes. Le regard posé sur Lucien Lacombe est d'une neutralité presque totale, une neutralité perturbante évidemment, imposant un détachement désagréable vis-à-vis des atrocités qu'il commet. La continuité entre les différentes étapes de son engagement est le point central du discours : c'est le hasard qui le fait se rapprocher du maquis puis de la gestapo, c'est l'attrait pour une fille qui le fera renoncer à certaines obligations de collabo. Dans la même thématique, il y a une continuité évidente dans son détachement, et on voit bien qu'il tue une poule (une décapitation impromptue à la main qui restera en mémoire) avec autant d'indifférence qu'il reproduira l'oppression de ses supérieurs à l'égard des indésirables. Dans la lignée des bizarreries produisant une certaine dissonance, Malle va jusqu'à faire figurer deux Noirs dans les rangs de la gestapo, en s'inspirant d'un fait historique — deux des tortionnaires de la gestapo de Bordeaux étaient martiniquais. Le tout sur fond de Django Reinhardt...

Pour questionner l'héroïsme ou l'horreur de l'engagement, selon le point de vue, quel choix idéal que celui d'avoir retenu Pierre Blaise dans le rôle principal, un acteur non-professionnel, bûcheron de formation — et accessoirement mort à 20 ans, l'année suivante, dans un accident de la route. Il s'intègre parfaitement dans cette toile de fond d'époque pour illustrer les comportements au quotidien, pour construire ce personnage qu'on aimerait qualifier d'innocent capable malgré tout de se soumettre à des pulsions barbares. La démarche ne brille pas nécessairement par sa perspicacité ou sa subtilité, mais ce personnage incarne très bien le hasard des circonstances qui fera de lui un collabo, résultat de la manipulation des autres, et qui lui donnera accès au statut social qu'il n'avait jamais pu envisager. Ce qui lui plaît, c'est l'échappatoire, la possibilité d'oublier les humiliations passées et de s'emparer des privilèges du pouvoir — le tout sans véritable idéologie, on le voit bien, il s'y connaît mieux en armes et en costards qu'en politique, à tel point qu'il confond juif et bolchévique. Lucien Lacombe n'est pas d'une nuance sans faille, mais il a le mérite de prolonger clairement le malaise.

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samedi 26 juin 2021

L'Éternel Silence, de Herbert Ponting (1924)

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"It is a terrible disappointment and I am very sorry for my loyal companions. Great God! This is an awful place."

Première publication le 11-10-2017.

L'Éternel Silence est un autre récit de voyage au Pôle Sud, une autre échappée documentaire vielle de cent ans, une autre expédition britannique magnifiquement ratée, racontée depuis l'intérieur de l'aventure à l'aide des différents appareils du photographe Herbert Ponting tout comme Frank Hurley, un autre photographe anglais, l'avait fait dans South (lire le billet) quelques années auparavant. Si ce dernier film sortit en 1919, il contait les exploits nuancés de la troupe réunie autour de Ernest Shackleton pour une mission en Antarctique baptisée "Endurance" qui dura de 1914 à 1917. Le présent documentaire, bien que sorti 5 ans plus tard en 1924, s'attachait à décrire une autre expédition, "Terra Nova", menée par le Capitaine Robert Falcon Scott de 1910 à 1912 et donc antérieure dans les faits à celle précédemment évoquée. Cette mission constituait les premiers pas britanniques au véritable Pôle Sud, en janvier 1912... tandis que le noyau dur de l'expédition découvrait avec stupeur, sur place, que l'équipe norvégienne de Roald Amundsen les avait devancés de près d'un mois. "It is a terrible disappointment and I am very sorry for my loyal companions... Great God! this is an awful place." peut-on lire dans ses carnets à ce sujet. Un coup du sort dont ils ne se remettront pas, les 5 membres de cette équipe réduite n'ayant jamais réussi à retrouver le camp de base, prisonniers des tempêtes exceptionnelles cet hiver-là, morts de faim et de froid à seulement quelques kilomètres d'un point de ravitaillement qu'ils n'auront jamais réussi à localiser. Le final puissamment tragique de L'Éternel Silence, en ce sens, est beaucoup plus proche d'un autre récit d'aventures sorti la même année : L'Epopée de l'Everest (lire le billet), de J.B.L. Noel, qui racontait la fin non moins tragique des deux alpinistes britanniques George Mallory et Andrew Irvine en haut de l'Himalaya.

Le schéma suivant, comportant les données cartographiques actuelles dont ne bénéficiait évidemment pas l'expédition à l'époque, résume la dernière partie de leur périple (cliquer sur l'image pour l'agrandir).

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Les images de Herbert Ponting constituent un document précieux du début du XXe siècle et permettent, à travers le faisceau de tous les autres documentaires cités précédemment, de donner une idée plurielle de la course à l'exploration qui motivait l'époque et des risques notables qu'ont pu prendre les citoyens de l'Empire britannique pour tenter d'en asseoir la suprématie. De nombreux extraits du journal de bord de Scott abondent dans ce sens, en soulignant la recherche de la gloire et des honneurs à mettre au compte de la couronne. Ses toutes dernières notes, datées du 29 mars 1912, sont par ailleurs poignantes :

"Had we lived, I should have had a tale to tell of the hardihood, endurance and courage of my companions. These rough notes and our dead bodies must tell the tale."

"Every day we have been ready to start for our depot 11 miles away, but outside the door of the tent it remains a scene of whirling drift. I do not think we can hope for any better things now. We shall stick it out to the end, but we are getting weaker, of course, and the end cannot be far. It seems a pity but I do not think I can write more.

R. Scott.

For God's sake look after our people."

pole_sud.JPGExactement comme son compatriote Hurley, Ponting insiste sur la nature scientifique de la mission à un moment donné du documentaire, alors que l'expédition atteignait le rivage de la l'Île de Ross. Une longue séquence (plus longue que celle de South, et non dénuée d'un certain anthropomorphisme presque touchant) est ainsi consacrée à des observations d'ordre géologique et zoologique, décrivant les modes de vie d'animaux tels que des orques, des manchots Adélie (avec ici aussi, étonnamment, une référence à Chaplin), des Skua antarctiques, des phoques de Weddell. C'était la première fois qu'une caméra atteignait le continent antarctique et ces images revêtaient sans aucun doute un intérêt capital.

Ponting accompagna Scott depuis la Nouvelle-Zélande jusqu'en Antarctique mais pas dans la dernière partie (fatale) de l'expédition jusqu'au Pôle Sud à proprement parler : il se contente ici de raconter l'épopée des cinq aventuriers malchanceux à l'aide de quelques schémas et du journal retrouvé bien plus tard. Exactement comme dans L'Épopée de l'Everest, il capte dans un élan mélancolique évident les derniers instants filmés des explorateurs en vie, en direction de leur but, saluant la caméra, tout sourire, avant de s'enfoncer dans le brouillard polaire.

Le reste du documentaire présente les aspects "classiques" et non moins intéressants de l'expédition, de sa préparation (avec notamment un bestiaire composé de chiens et de... poneys sibériens) à la découverte des premiers icebergs. Les images de la coque du navire déchirant la banquise sont saisissantes, et leur obtention (à l'aide d'une plateforme accrochée sur le côté, à l'avant du bateau) a elle aussi été mise en scène pour montrer l'investissement acharné de Ponting dans sa tâche. En outre, un peu comme Robert Flaherty avec un igloo dans Nanouk l'esquimau (lire le billet), Ponting a glissé sa caméra à l'intérieur d'une tente pour observer les conditions de vie spartiates de l'expédition finale : comment s'habiller, se déshabiller, cuisiner, et dormir dans un espace réduit et par des températures glaciales inimaginables.

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En quittant la Nouvelle-Zélande au tout début de la mission, le capitaine Scott était conscient qu'une autre expédition concurrente, norvégienne, avait pour objectif identique la conquête du Pôle Sud : l'amertume qui se dégage de ses écrits, alors qu'il découvre la tente d'Amundsen à l'emplacement exact qui était censé marquer la victoire du courage et de la supériorité britannique, est immense. Elle nous parvient intacte, semble-t-il, cent ans plus tard.

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Le photographe Herbert Ponting et l'officier de la Royal Navy Robert Falcon Scott.

Seconde publication le 26-06-2021.

Le cadre : l'âge héroïque de l'exploration en Antarctique (situé entre 1895 et 1922), que l'on compara à la course à l'espace dans les années 1960 qui se termina par l'alunissage le lundi 21 juillet 1969 au cours de la mission Apollo 11. On rejoint Rencontres au bout du monde de Werner Herzog (2007), en visite chez les pensionnaires de la base américaine McMurdo, en Antarctique.

Robert Falcon Scott, un officier de la Royal Navy, est le leader de l'expédition Terra Nova menée entre 1910 et 1913 qui devait atteindre le pôle Sud. Scott a mené auparavant l'expédition Discovery en Antarctique de 1901 à 1904, pour explorer le littoral antarctique. Lorsqu'il quitte les côtes néozélandaises en 1910, il sait qu'une expédition norvégienne concurrente est également en lice, menée par l'explorateur Roald Amundsen — qui lui aussi disparaîtra (mais beaucoup plus tard, en juin 1928) en participant à une mission de recherche et sauvetage en bordure de la mer de Norvège.

Beaucoup d'expéditions et de films qui explorent les limites du monde tel qu'on le connaissait à un moment donné :
- South (1919, Frank Hurley) : l'échec (sans aucun mort au demeurant) de l'expédition britannique Endurance, emmenée par Ernest Shackleton, au départ des Îles Sandwich du Sud et en direction du pôle Sud, de 1914 à 1917.
- Nanouk l'Esquimau (1922, Robert Flaherty) : le mode de vie d'une famille Inuit de la région de Port Harrison sur la côte Est de la baie d'Hudson au Canada, d'après le récit de Flaherty qui commença son expédition en 1914 et ce pour plusieurs années.
- L'Epopée de l'Everest (1924, J.B.L. Noel) : l'ascension de l'Everest par deux alpinistes britanniques, George Mallory et Andrew Irvine, en 1924, qui périrent dans les hauteurs enneigées.
- Moana (1926, Robert Flaherty) : Robert Flaherty et sa femme à la rencontre d'une tribu polynésienne, pendant deux ans sur une île de l'archipel des Samoa, au milieu des années 1920.
- L'Expédition du Kon-Tiki (1950, Thor Heyerdahl ) : l'expédition du Kon-Tiki, vers l'archipel polynésien depuis le continent sud-américain en 1947, au cours de laquelle le biologiste Thor Heyerdahl souhaitait démontrer une théorie d'ordre anthropologique.
- Moonwalk One (2014, Theo Kamecke) : l'histoire du vol d'Apollo 11, avec Armstrong, Collins et Aldrin, entre liturgie mystico-philosophique absconse sur le thème de l'exploration spatiale et description matérialiste de plusieurs aspects de la mission.

Les défauts : les séquences animalières, sans doute plus étonnantes à l'époque, sont beaucoup trop longues et constituent le ventre mou du film. Après les poneys sibériens et les chiens de traineau, les pingouins, les manchots, et même le saut de chat sur la neige. La musique, ajout de la restauration, est souvent abominable.

Les qualités : un film censé illustrer les talents exploratoires de l'empire britannique se transforme en un film testamentaire faisant l'éloge, par défaut, de la grandeur de l'âme britannique prête à tous les sacrifices. La beauté de l'échec est au moins aussi éloquente que la beauté des paysages glacés : il faut songer que sur une mission de trois ans, les deux camps opposés atteignirent le pôle Sud avec seulement 34 jours de différence, entre fin 1911 et début 1912. Les images du petit groupe de Terra Nova devant la tente de Amundsen et le drapeau norvégien valent tous les mélodrames de fiction. Amundsen qui déclarait à la même époque "never underestimate the British habit of dying. The glory of self-sacrifice, the blessing of failure"... Ce sont les toutes premières images ramenées de l'Antarctique. La visualisation de la carte de l’expédition, avec les différentes péripéties macabres sur le chemin retour, est d’un sens du dramatique vraiment très fort.

Herbert Ponting ne semble pas intéressé par la dimension compétitive de l’entreprise : il filme la traversée de Nouvelle-Zélande vers l'Antarctique et le début de l'expédition, c’est tout. On voit des formations de glace telles des feuilles de nénuphar qui flottent à la surface avant de s'agglomérer. La sidération du spectateur dans les années 10 est sans doute semblable à celle du spectateur contemporain. Beaucoup de bébés pingouins et de phoques qui cassent la glace avec leurs dents, certes. Mais il y a de quoi être étonné par la rapidité et la réactivité du photographe qui utilise un matériel lourd et encombrant, en plus des conditions polaires glaciales qui rendent le travail sans doute très compliqué.

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Billets connexes

samedi 19 juin 2021

Louisiana Story, de Robert J. Flaherty (1948)

louisiana_story.jpg, mai 2021
D'une utopie à l'autre

D'une œuvre de commande pour la Standard Oil Company du New Jersey destinée à illustrer les difficultés de la recherche pétrolière dans un milieu aussi difficile que les marais de Louisiane, Flaherty parvient à composer un film très étonnant, à la croisée des mondes, entre industrie moderne et permanence de la nature. Un peu comme l'intrusion chez les Inuits après en avoir capté le mode de vie dans Nanouk l'Esquimau, Louisiana Story reprend cette conception duale pour montrer, contre toute attente, l'alliance quasi merveilleuse d'un panthéisme volontairement naïf et de l'essence de la connaissance scientifique. À une époque où, cela va de soi, la prospection pétrolière bénéficiait d'un consensus particulièrement contrasté avec les problématiques de la nôtre.

Si l'activité sur le derrick est retranscrite comme un travail de groupe, dépendant de la solidarité des hommes, de la précision de leurs gestes techniques et de l'apport de l'industrie (avec de nombreux plans centrés sur les objets métalliques imposants qui coulissent, qui vissent, qui creusent), il coexiste une contrepartie tout aussi importante dans le bayou, en compagnie d'un jeune cajun, Uri, lors de ses promenades en pirogue. C'est d'ailleurs de son point de vue, à la fois inquiet et émerveillé, que tout le film émergera. Louisiana Story concentre ainsi une grande partie de son action à la description de ce milieu mystérieux, partagée entre la faune diversifiée et la flore luxuriante, dans un coin sauvage grandement photogénique dont Flaherty parvient à capturer toute la puissance merveilleuse.

C'est d'ailleurs ce qu'on pourra reprocher, si on n'y est pas sensible : la candeur du point de vue, entièrement contenu dans celui du jeune garçon cadien parcourant ces étendues marécageuses de la Nouvelle-Orléans en compagnie de Jojo, son raton laveur. Mais pour peu qu'on y soit réceptif, le film compose avec la notion de relation et de confrontation douce entre la nature et la civilisation, l'homme et la machine, etc. L'action de l'homme sur l'environnement et les conséquences qu'elle engendre sont tout juste esquissées — ou plutôt disons que la pollution d'une zone naturelle, suite à un accident qui aura fait se déverser de grandes quantités de pétrole dans ce lieu idyllique, est abordée avec un détachement (celui de son époque, cela va de soi) qui peut prêter à sourire. En revanche, l'intrusion du progrès tout mécanique dans cet Éden naturel, l'implantation de la machinerie d'acier dans ce microcosme dominé par les alligators, tout en innocence et en pacifisme, produit une image étonnamment harmonieuse. Comme un changement d'une utopie vers une autre, après l'interpénétration de deux univers.

pirogue.jpg, mai 2021 alligator.jpg, mai 2021 oiseau.jpg, mai 2021 raton.jpg, mai 2021 machine.jpg, mai 2021 pere.jpg, mai 2021 peche.jpg, mai 2021

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