mardi 02 janvier 2024

Exogène (Matter Out of Place), de Nikolaus Geyrhalter (2022)

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Ordures et châtiment

Plans fixes, photographie léchée, dialogues marginalisés, thématique pertinente : aucun doute, on est bien chez Nikolaus Geyrhalter. L'agro-industrie dans Notre pain quotidien, l'humanité la nuit dans Abendland, les vestiges d'architectures passées dans Homo sapiens, la transformation et l'exploitation des paysages dans Earth, et désormais la gestion des déchets à l'occasion de  Exogène qui ne dépareille pas le moins du monde avec le reste de sa brillante filmographie documentaire.

Geyrhalter est allé chercher des détritus à plusieurs endroits de la Terre (Albanie / Autriche / États-Unis / Grèce / Maldives / Népal / Suisse) et il n'y a pas l'ombre d'un doute quant à l'intérêt de son bilan carbone. Le documentaire est hypnotisant, comme à son habitude au demeurant, mais ici avec un supplément de fascination assez particulier étant donné que l'objet du regard porte sur de la saleté sous toutes ses formes. Du plastique partout, évidemment (et on sait bien qu'une partie finira chez les déshérités exploités à l'autre bout du globe, de Plastic China à Welcome to Sodom), en montagne, sous l'eau, sur les rivages, enfoui sous terre, mais aussi le tout-venant, qu'il soit collecté à vélo dans les rues d'un petit village népalais avant d'être entreposé dans une décharge à ciel ouvert, en camion suspendu sous un téléphérique suisse ou en bateau au large des côtes maldiviennes. Le réalisateur autrichien parvient à unifier en quelque sorte les détritus déversés aux quatre coins de la planète pour former une même masse polluante qui prolifère et qui s'infiltre par toutes les strates jusqu'à se répandre jusque dans les territoires les plus reculés.

Et il en faut, de l'énergie pour traiter ces déchets. Des bénévoles qui collectent ce que les flots ont ramené sur des plages albanaises, des plongeurs grecs qui vont récurer les fonds marins particulièrement garnis en saloperies incrustés dans les coraux, et des machines à n'en plus finir pour les déplacer, les compacter, les trier, les recycler, ou les réduire en miette ou en pâte. Des machines de toutes les tailles, que l'on a tout le loisir d'observer dans leurs fonctionnements variés, du bulldozer servant à donner un semblant d'ordre dans les décharges à perte de vue jusqu'aux broyeuses qui fragmentent n'importe quelle matière, en passant par les différents souffleurs et aimants géants pour séparer les objets légers et les métaux du reste. On regarde toutes cette mécanique fonctionner avec autant de passion que de dégoût, un tour de force récurrent chez Geyrhalter. On est à deux doigts de l'autonomie au sein d'un système fermé, avec des déchets qui produisent des déchets, qui produisent des déchets, etc. La nausée et l'asphyxie guettent à plus d'une reprise.

Geyrhalter travaille beaucoup ses transitions. On passe d'une mer prise entre des montagnes glacées magnifiques tant que l'on ne regarde pas en détail les ilots de plastique qui la composent, au bordel monstrueux dans une décharge au Népal, avec des déchets qui s'accumulent en montagnes traitées par une armée de petites mains au milieu du ballet de camions, pour ensuite sauter tout aussi brusquement vers une station de ski en Suisse avec des camions qui n'arrêtent par leurs descentes et leurs montées fixés en-dessous des cages d'acier transportant les hommes — un procédé qui apparaît naturellement comme un luxe. Le final observant la clôture du Burning Man dans le Nevada est un moment hautement photogénique (autant que les plages de sable blanc aux Maldives), le désert balayé par la poussière et par le vent, avec des dizaines de personnes cherchant quelques pauvres petits bouts d'ordures, contraste saisissant avec les tonnes et les tonnes de déchets qui ont défilé devant nos yeux avant ça — le propos n'étant pas tout à fait clair à cet endroit. Une chose est sûre, il y a quelque chose de l'ordre du travail de Sisyphe dans cette dispersion planétaire des ordures que l'humain cherche à dompter, à brûler et à enfouir, quête éternelle au bord de l'impuissance.

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samedi 30 décembre 2023

Tantura, de Alon Schwarz (2022)

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Un nouveau regard sur la Nakba

Alon Schwarz n'est pas un dissident politique israélien, il n'est pas antisioniste, et c'est sans doute lui qui le dit le mieux : "I am a big Zionist. People think I am not, but they are wrong. I am more Zionist than the right-wing people who want to settle the territories and then have one state, which would end up not being a Jewish state. I am not saying bring back the Arabs into Tantura and clear out the Jews. That is not what I am saying. That is not what should happen. I am not for the right of return by any means. I want a Jewish state. My grandparents came from the Holocaust." C'est un paramètre important lorsqu'on tombe sur son documentaire Tantura, du nom d'un ancien petit village de pêcheurs situé entre Tel Aviv et Haïfa et qui fut le théâtre d'une exécution de masse lors de la guerre israélo-arabe de 1948-1949 au terme du mandat britannique sur la Palestine.

La thèse (cinématographique) soutenue par Schwarz épouse en réalité la thèse (de master) de l'historien israélien Théodore Katz, ancien étudiant de l'université de Haïfa dans les années 1950 et aujourd’hui nonagénaire : contrairement aux déclarations officielles, la brigade Alexandroni aurait procédé à un nettoyage ethnique et des centaines de corps seraient enterrés dans des charniers, ce qui remet en question le mythe fondateur d'Israël à une époque où des centaines de villages palestiniens avaient été détruits. Côté israélien, ces événements sont appelés "guerre d'indépendance", et côté palestinien, on parle de "Nakba" (la catastrophe). En tout état de cause, un sujet manifestement tabou puisque cette thèse coûta cher à Katz : les vétérans de la brigade Alexandroni attaquèrent Katz en justice pour diffamation, l'accusant d'avoir fabriqué les témoignages, et l'université de Haïfa lui retira son grade. Un jour peut-être, des fouilles seront menées et mettront fin aux débats et à cette longue controverse.

Tantura, ce n'est que ça : l'exposition de ces éléments, de manière étonnamment et agréablement neutre, sourcée, apaisée. Le documentaire vaut avant tout pour l'énoncé des faits derrière la thèse soutenue par le réalisateur, étant donnée sa position (résolument sioniste) dans une démarche apparemment sincère, allant à contre-courant du récit martelé quotidiennement.

img1.jpg, déc. 2023 img2.jpg, déc. 2023 img3.jpg, déc. 2023 img4.jpg, déc. 2023

vendredi 29 décembre 2023

La Femme de mon frère, de Monia Chokri (2019)

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"Intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continuateurs d’Antonio Gramsci"

On parle souvent des liens qu'il y aurait entre Monia Chokri et Xavier Dolan (au-delà de sa présence chez lui en tant qu'actrice bien évidemment), mais je dois avouer que pour son premier film, la réalisatrice québécoise fait preuve d'une assurance et d'une indépendance assez bluffantes. Il y a quelques réflexes qui témoignent de la primeur de cette œuvre dans la filmographie de Chokri, quelques effets de style un peu lourds, quelques schémas récurrents pour insuffler artificiellement du rythme, mais rien qui ne soit pas contrebalancé ailleurs par d'autres éléments positifs.

Très honnêtement, il n'y aurait pas de film sans Anne-Élisabeth Bossé, l'héroïne. Il y a bien sûr le personnage, cette jeune femme ayant récemment obtenu son doctorat mais blasée dans toutes les directions de son existence (professionnelle, familiale, sentimentale), et il y a l'actrice, passionnante de bout en bout avec son physique inhabituel qui donne une coloration toute particulière à cette personne auteure d'une thèse sur les "intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continuateurs d’Antonio Gramsci". Elle est célibataire, sans emploi, trop qualifiée, elle vient d'avorter et ne sait pas vraiment ce qu'elle veut — si ce n'est son amour platonique pour son frère, à l'origine de la dynamique principale de La Femme de mon frère, titre explicite puisqu'il tombera amoureux de sa gynécologue.

Et le film d'osciller entre comédie (excentrique, hystérique) et tragédie existentielle (tantôt du côté de la folie, tantôt du côté de l'émotion). Monia Chokri est parvenue à trouver la juste mesure entre les élans mélancoliques de l'impasse dans laquelle elle a l'impression de s'engager et la grande méchanceté dont elle sait faire preuve, aussi cruelle que jouissive par endroits. Il est tentant d'y voir une version intello de Bridget Jones, même si ici on voit bien que l'essentiel porte sur cette rage qui la ronge et qui l'empêche, en quelque sorte, de grandir. Dommage que certains dispositifs narratifs soient aussi dérangeants, comme notamment les changements de rythme soudains et les écarts très démonstratifs, mais l'originalité et la perspicacité l'emportent aisément.

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vendredi 22 décembre 2023

City Hall, de Frederick Wiseman (2020)

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"Differences don't have to divide us."

De tous les documentaires de Frederick Wiseman, les 4h30 de City Hall consacrées à la municipalité de Boston entre 2018 et 2019 se rapprochent le plus des 3h20 de Ex Libris - The New York Public Library, occupées à parcourir les couloirs et les salles (de réunion bien sûr) de la troisième plus grande bibliothèque du monde. Indépendamment de leurs durées gargantuesques, le principal point commun réside dans une figure centrale servant de connexion entre toutes les séquences extensives, le directeur Anthony Marx en 2017 animant la plupart des réunions et discussions dans la bibliothèque, le maire Martin Walsh dans le bâtiment municipal et aux quatre coins de la ville.

City Hall appartient en outre à la classe des docus de Wiseman que l'on pourrait qualifier d'interminables, avec beaucoup de superflu qui n'a pas été écumé au montage (alors qu'il s'agit d'un des projets pour lesquels il a collecté le moins d'heures de rushes, paradoxalement). C'est un film qui respire très bien, avec une alternance salvatrice entre les tunnels de discours / réunions où la parole ne cesse jamais et les plans silencieux volés à divers endroits de Boston, dans la rue avec les éboueurs ou dédiés à des éléments architecturaux variés. Mais on se dit à de nombreuses reprises que certaines séquences captées in extenso auraient su grandement tirer profit de coupures pour éliminer un peu de gras, sans pour autant conserver uniquement l'essentiel. Il y avait beaucoup de marge, et ce d'autant plus qu'à travers le film s'installe une certaine répétitivité thématique — l'intégration des préoccupations des habitants dans le processus d'aménagement de la ville.

Boston est la ville où est né Wiseman, mais c'est surtout la seule ville (sur six) à avoir répondu positivement à sa demande pour un tel tournage. Difficile de ne pas y voir malgré tout une réponse à un autre film avec lequel il forme un diptyque sur les résonances politiques états-uniennes, son précédent Monrovia, Indiana et accessoirement portrait à peine voilé du trumpisme quotidien. C'est sans doute là que City Hall se fait le plus limitant et rébarbatif à la longue, puisqu'au terme du voyage, la sensation d'avoir reçu un message martelé 150 fois sur le thème "les équipes municipales travaillent dans un esprit collaboratif afin de déployer une politique sociale et égalitaire" est quand même particulièrement tenace. J'ai du mal à croire que Wiseman puisse tomber dans une telle forme de naïveté et qu'il boive passivement le flot conséquent de discours (démocrates, en l'occurrence) empreints d'un étrange idéalisme. Même si l'on peut comprendre la force voire la nécessité de l'espoir pour tourner la page dans un pays qui vient d'élire Trump.

C'est enfin une vision intéressante de la culture des communautarismes à l'américaine, d'un côté assez passionnante dans cette façon si typique qu'ont les communautés d'échanger entre elles, et d'un autre côté toujours aussi flippante dans l'impérialisme latent omniprésent qu'elle renferme — il faut toujours que les États-Unis se rêvent pays de la liberté, ouvrent la voie et montrent le chemin au reste du monde, même sur la conquête de valeurs progressistes. Si les innombrables discours de Walsh finissent fatalement par lasser ("What we do in Boston can change this country. We've shown that differences don't have to divide us. When we come together, anything is possible"), il reste en toile de fond des séquences tout aussi innombrables qui cassent la monotonie, décrivant la vie de la ville comme autant de très beaux micro-portraits : des anciens combattants, des résidents préoccupés par l'ouverture d’un magasin de cannabis près d'une école, des anonymes quémandant la clémence des autorités pour faire sauter des amendes, des équipes de police en briefing, des pompiers en intervention, des travailleurs en voirie, etc.

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jeudi 21 décembre 2023

Baby Boy Frankie (Blast of Silence), de Allen Baron (1961)

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"A killer who doesn’t kill, gets killed."

Deux visionnages qui s'entrechoquent, produisant un effet plutôt intéressant : The Blast of Silence réalisé et interprété par Allen Baron en 1961, film noir peu connu creusant les archétypes avec quelques notes originales, évoque en écho le tout récent The Killer de David Fincher, tous deux présentant de manière réaliste (pseudo-documentaire, pourrait-on dire) un tueur à gages en mission, avec quelques couilles dans le potage d'une mécanique qui semblait pourtant parfaitement huilée, et assortie d'une narration reposant essentiellement sur une voix off omniprésente. 60 années les séparent, mais les points de convergence sont étonnamment nombreux. Une différence notable toutefois : Fincher choisissait une porte de sortie vers l'amertume de la déchéance consentie, Baron opte pour une autre forme d'amertume avec un final radical, froid, sec, et plombant. Il s'en dégage une poésie rafraîchissante, prisonnière d'un minimalisme parfois un peu rêche, mais déployant par moments une rage ou une mélancolie surprenantes.

Baby Boy Frankie est un film bavard, avec cette voix off s'adressant continuellement au protagoniste à la deuxième personne : le procédé marque un parti pris qui détonne mais qui peut se révéler pénible pour peu qu'on soit réticent aux commentaires incessants, et ce en complément d'un accompagnement musical qui peut se faire un peu insistant à la longue — même si personnellement cette ambiance m'a pas mal plu pour accompagner le protagoniste (une moyenne troublante entre Lino Ventura et Robert De Niro, jeunes) dans sa découverte de New York. Le portrait qui en est fait passe presque exclusivement par les sous-entendus générés par cette voix off, en marge des introspections auxquelles on a directement accès : le gars se juge beaucoup, se motive, se convainc, change d'avis, hésite. Pas évident, l'intérieur de la cervelle d'un tueur à gages envoyé assassiner un mafieux de seconde zone.

Il y a beaucoup d'hésitations et d'imprévus dans ce qui devait être le tout dernier contrat... Tenaillé par une anxiété palpable qui semble diriger la plupart de ses mouvements, sous la pression du "a killer who doesn’t kill, gets killed", le personnage s'enferme progressivement dans une solitude qui le ronge et l'obsède, l'injonction de meurtre pesant (il faiblira à plusieurs reprises, à deux doigts d'abandonner son contrat) sur lui faisant office de spirale infernale. Dommages collatéraux de cette angoisse, quelques obstacles sur son chemin seront l'occasion de séquences d'une rare et brutale intensité — Big Ralph, l'homme aux rats qui devait lui fournir l'arme du crime avant de se débiner, en fera les frais. Le final étonne aussi par son cadre et son tragique, tourné un peu par hasard après le passage d'un ouragan dans la région. Largement de quoi se démarquer de ses (solides) références, à chercher du côté de Quand la ville dort (John Huston, 1950), Les Forbans de la nuit (Jules Dassin, 1950), ou encore En quatrième vitesse (Robert Aldrich, 1955).

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mercredi 20 décembre 2023

Printemps précoce (早春, Sōshun), de Yasujirō Ozu (1956)

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Adultère et renouveau amoureux

C'est la première (dans mon expérience en tous cas) et probablement l'unique fois que Ozu aborde le thème de l'infidélité dans un film, conférant de facto à Printemps précoce un parfum singulier, en rupture avec les thématiques qu'il aura invariablement creusées au fil de sa carrière. Pour l'un de ses derniers films en noir et blanc, il délaisse totalement la toile de fond de la famille japonaise qui a fait sa réputation (les conflits larvés entre générations cohabitant dans un même espace, pour le dire très succinctement) et dédie l'ensemble de cette réalisation à un double portrait, celui de la condition des cadres qu'il dépeint comme prisonniers de leur bureau et celui du couple qui bat de l'aile. Autant dire qu'on a déjà connu des films plus joyeux même si tout n'est pas absolument démoralisant ici.

La situation initiale est posée très vite : il y a Shoji (Ryō Ikebe), un jeune employé dans une grande entreprise spécialisée dans la fabrication de briques, qui passe une grande partie de son temps dans les bars, avec ses amis et collègues entre bureau et maison, pour oublier son spleen de col blanc ; et il y a Masako, son épouse, magnifique Chikage Awashima, passant le plus clair de son temps à l'attendre et à s'occuper du foyer en bonne fée du logis, reflet de son époque. On apprend qu'ils souffrent d'avoir perdu un enfant en bas âge. En revanche, pour ce qui est de la péripétie venant malmener la routine de ce quotidien, il faudra attendre longtemps et Ozu saura longuement travailler notre patience... Mais l'aventure que Shoji aura avec sa collègue Chiyo, sous les traits de Keiko Kishi, sera très joliment amenée et déclenchera la seconde et très intéressante partie du film, avec la rumeur se propageant dans les rangs des employés et l'avènement des soupçons chez sa femme dont la crédulité est mise à rude épreuve.

Dans cette zone de flottement, après avoir pris le soin de dépeindre la routine du quotidien et l'absence de débouchés, Printemps précoce prend son envol avec l'élan libertaire initié par le comportement de Chiyo. Un personnage étonnant dans la filmographie du réalisateur, très extravertie, sanguine et libre-penseuse. Elle nous gratifie d'ailleurs d'une des très rares scènes de baiser amoureux chez Ozu — à vrai dire je ne suis pas sûr qu'il en existe une autre — produisant un dérèglement majeur, le mensonge et le compromis de trop que l'épouse ne peut tolérer et ce malgré les appels de la voisine à relativiser sur le thème "le mien aussi il a déconné, ça arrive, je lui ai remonté les bretelles et on s'en est remis depuis". L'occasion pour la femme de confesser, un peu tristement, "après tout, ce monde est fait pour les hommes". Sur une thématique proche de celle développée dans Le Goût du riz au thé vert (davantage tourné vers le délitement du couple), Ozu capte le vacillement, le doute qui s'installe chez un homme perdu dans la monotonie se réveillant soudain entre deux femmes, l'épouse incrédule et l'amante passionnée.

Tout dans Printemps précoce converge vers ce moment final, retrouvailles chargées en émotions dont le contenu conserve une bonne part d'ambivalence. Magnifiques dernières minutes minimalistes, les deux se retrouvant dans une petite ville perdue loin de tout suite à la mutation du mari, échangeant quelques mots, sans se toucher, qui nous laissent sur un sentiment d'incertitude à la fois amer et radieux.

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mardi 19 décembre 2023

Winter Break (The Holdovers), de Alexander Payne (2023)

winter_break.jpg, déc. 2023
"Life is like a henhouse ladder. Short and shitty."

Le programme est un peu trop évident dans son sillon de comédie dramatique très typée cinéma indie américain pétri de bons sentiments, mais Alexander Payne maintient assez bien le cap, en tous cas beaucoup mieux que son précédent Downsizing qui contrastait assez désagréablement avec le reste de sa filmographie. Dans The Holdovers, Paul Giamatti tient un rôle assez proche de celui qu'il occupait dans Sideways, à savoir un vieil intellectuel avec ses blessures intérieures qui va de manière plus ou moins involontaire être amené à renouer avec une certaine réalité, au moyen de relations sociales ténues mais renouvelées. Cela se faisait au travers du road trip d'un écrivain raté avec un ami au milieu des domaines viticoles hier, et aujourd'hui par un prof d'histoire contraint d'assurer la surveillance d'élèves ne pouvant pas rentrer chez eux pendant les vacances de Noël.

The Holdovers est un de ces films qui adoptent un regard sur une époque (même si l'action est située dans les années 70, avec toute la technique qui suit à commencer par la pellicule, le discours conserve une valeur actuelle) sans trop de concessions, parfois un peu secs dans leurs affirmations, mais in fine assez tendres dans la conclusion. Une grande partie est dédiée à l'association entre un vieux professeur bourru et hautain, apprécié de personne, dont la carrière ratée a été détruite par un événement à Harvard dont on prendra connaissance un peu tardivement dans le récit, et un de ses étudiants, le seul coincé pour les vacances avec la cheffe cuisinière (qui elle aussi aura ses douleurs révélées, un fils mort au Vietnam), assez doué et fin rebelle, abandonné par sa mère et son beau-père tandis que son père croupit dans un hôpital psychiatrique. Le vieil historien ultra cultivé qui se croît supérieur en tous points, presque flatté de n'avoir aucun ami, face au jeune étudiant turbulent juste comme il faut, on voit quand même dans cette description un début (euphémisme) de stéréotype, et à ce titre c'est un film plutôt à destination de personnes qui apprécient les belles tirades et les joutes verbales — sur fond de comédie sentimentale avec des êtres malmenés par la vie, certes. Giamatti est très bon dans son rôle, avec son strabisme divergeant plus visible que jamais (une référence assez drôle y est faite, pour indiquer quel œil il faut regarder) et ses punchlines d'intellectuel (souvent en latin, bien sûr, mais pas uniquement : "Life is like a henhouse ladder. Short and shitty").

Le trio improbable trouvera dans leur cohabitation forcée une sorte de havre de paix pour se reconstruire, un peu, et en apprendre davantage sur les autres, aussi. Beaucoup de sarcasmes dans cette ambiance froide et douce-amère, parfois à la limite de la mièvrerie. Le lien qui se crée entre le prof et l'élève reste malgré tout assez touchant, sur les thèmes du deuil, de la dépression, et de la solitude, jusque dans leur séparation.

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lundi 18 décembre 2023

Earth (Erde), de Nikolaus Geyrhalter (2019)

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"If all else fails, there’s always dynamite. We always win."

Il y a un peu des paysages irakiens désolés filmés depuis un hélicoptère par Werner Herzog en 1992 (Leçons de ténèbres) dans ce film hypnotisant de Nikolaus Geyrhalter. Si l'on excepte le dernier des 8 segments que compte Earth, le documentaire est entièrement consacré à la transformation du paysage à grande échelle par l'homme, dans des mines et autres sites d'exploitation remuant des millions de tonnes de terre par jour, avec une alternance extrêmement bien équilibrée : d'une part des visions d'ensemble des chantiers, avec beaucoup de prises de vues aériennes par drone (plus abordable qu'un hélicoptère, on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'en aurait fait Herzog...) qui capte le ballet incessant des énormes machines sur des terrains toujours différents, et d'autre part des témoignages recueillis directement auprès des ouvriers, face caméra, très posément, éclairant des états d'esprit et des rapports aux métiers tout aussi variés, souvent fiers de leur métier et conscients des conséquences. Le procédé est surprenant de la part de Geyrhalter, l'auteur de monolithes invariablement muets comme le stupéfiant Homo Sapiens, mais il s'avère vraiment payant.

Californie, Autriche, Italie, Hongrie, Espagne, Allemagne, Canada. On rase une montagne pour en faire une future petite ville californienne, on en creuse une autre pour créer un tunnel, on extraie différents minerais pour l'industrie du bâtiment ou de l'électronique, on taille d'immenses blocs de marbre dans la roche mère, on garnit le sol d'explosifs quand la terre se fait trop réticente, on réalise que le stockage des déchets nucléaires n'est pas aussi simple que ce qu'on pensait il y a encore quelques décennies. Toutes ces opérations, que la plupart des êtres humains aura tôt fait de qualifier de "nécessaires" ("it's human nature", dira l'une des personnes sur le chantier américain de San Fernando Valley où l'on déplace littéralement des montagnes), occasionnent des déplacements de terre dans des volumes proprement hallucinants et sous des modalités d'excavation incroyablement diversifiées. Toute la gamme de bulldozers y passe, avec les hommes à l'intérieur largement malmenés par la machine : l'un d'entre eux dira d'ailleurs qu'il s'agit d'un combat contre la planète, qu'elle résiste quand on la pille, mais que quoi qu'il en soit, c'est l'homme qui aura le dernier mot puisque "If all else fails, there’s always dynamite. We always win." À titre personnel, je reçois ces paroles comme certains reçoivent les images abominables diffusées par L214 dans certains abattoirs, comme si on était aux portes de l'enfer.

Certaines choses ne peuvent pas être conscientisées tant qu'on ne les a pas vraiment vues, et il y a une image (parmi beaucoup d'autres) dans Earth qui semble venir d'une autre planète. Sur un chantier de Gyöngyös en Hongrie, au milieu d'une gigantesque exploitation, elle est là, tout droit sortie d'un film de science-fiction dystopique. Une machine de la taille d'un immeuble de 16 étages (et encore, ce n'est que la hauteur, elle s'étend en longueur sur une distance encore plus grande) creuse la terre, tonne par tonne, tandis qu'un tapis roulant long de plusieurs centaines de mètres achemine les restes plus loin. On prend la terre et la roche, on la broie, on en extraie quelque matériau, et on la rejette en tas à côté. On transforme une montagne vivante avec ses innombrables strates géologiques en un tas de graviers par l'entreprise d'une machine monstrueuse entre autres par ses dimensions inimaginables. Rarement une image documentaire aura été aussi angoissante, symbole gargantuesque de destruction.

À côté de ça, on apprend que la modification des eaux souterraines et les grands barrages à travers la planète ont un effet direct sur l'axe de rotation de la Terre (modification de la précession) ainsi que sur sa vitesse de rotation. Mais bon, "what's the alternative?". À Carrare en Italie, on extraie des blocs de marbre de plusieurs centaines de tonnes, parfois à plusieurs bulldozers (et je laisse imaginer la taille des engins) : ce qui prenait plusieurs jours à la fin du XXe siècle se fait désormais en une heure. Le corolaire étant que les paysages se transforment à une vitesse impressionnante. Les images sont sublimes ici, un lieu hautement photogénique que Yuri Ancarani avait déjà capturé dans son magnifique court-métrage intitulé Il Capo en 2010, davantage orienté sur le chef-d’orchestre guidant les machines. À cette vitesse-là, d'ici quelques centaines d'années, il n'y aura plus rien affirme un opérateur, avant de rajouter "mais bon, on ira sans doute sur la Lune ou sur Mars pour exploiter les ressources là-bas". De la science-fiction, encore une fois.

La toute dernière partie de Earth est la plus faible, la plus maladroite, la plus anecdotique. Le geste est louable mais l'effet est raté : Nikolaus Geyrhalter entendait donner la parole à des habitants de la région de Fort McKay au Canada, vivant près d'un cours d'eau pollué par les sites d'extraction de pétrole et de gaz de schiste, montrant au passage d'anciennes industries abandonnées avec engins de chantiers laissés là, en décomposition au milieu d'une forêt reprenant ses droits, et des bâtiments en ruines garnis d'amiante. Dommage de laisser retomber ainsi la tension à l'occasion d'une séquence aussi faible et aussi inférieure en termes esthétiques.

Mais tout le reste est gravé sur la rétine, aucun doute là-dessus. L'échelle à laquelle l'exploitation et la destruction s'opèrent donne au documentaire des airs post-apocalyptiques sans pour autant verser dans l'accusation facile, notamment grâce aux échanges avec les intervenants sur les différents sites. De par l'ampleur des événements retranscrits, Geyrhalter confère à ses images un parfum d'inéluctabilité incroyablement intense, un sentiment rarement éprouvé ailleurs.

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vendredi 15 décembre 2023

Les Forçats de la gloire (The Story of G.I. Joe), de William A. Wellman (1945)

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"It's a world the other world will never know. Even the Air Force. Up there, they approach death differently. When they die, they're clean-shaven, well fed, if that's any comfort. But the G.I., well, he lives so miserably and he dies so miserably."

Samuel Fuller disait de The Story of G.I. Joe qu'il s'agissait selon lui du film produit sur la Seconde Guerre mondiale par les États-Unis le plus adulte et le plus authentique. On pourrait compléter en rajoutant que William A. Wellman réalise ce film en 1944, à une époque où son pays est très fortement impliqué dans le conflit (ce qui pourrait conduire à l'assimiler à de la propagande), en faisant jouer beaucoup de soldats américains rescapés du front européen en permission, aux côtés de quelques acteurs dont un tout jeune Robert Mitchum, alors qu'un grand nombre mourra quelques mois plus tard dans le Pacifique. Au même titre que le correspondant de guerre Ernie Pyle interprété par Burgess Meredith, tué peu de temps après la sortie du film et après avoir reçu le prix Pulitzer, lors de la bataille d'Okinawa au Japon. Le plus marquant dans tout ça, c'est l'incroyable maturité de Wellman et l'incroyable recul dont il fait preuve pour mettre en scène la progression d'une unité d'infanterie, dans un premier temps en Afrique du Nord, puis du côté de l'Italie avec la célèbre bataille de Monte Cassino.

En adoptant le point de vue de Pyle, la guerre est retranscrite comme un témoignage qui aurait collecté différents points de vue sur le terrain, au plus près des soldats. De manière très étonnante pour l'époque, on s'éloigne de tous les canons propagandistes pour rester dans une captation particulièrement terre-à-terre, en alternant entre les phases de déplacement loin des combats et les épisodes de combats — que ce soit en territoires urbains, avec notamment cette évolution dans les décors d'une cathédrale en ruine évoquant certains passages de la fin de Full Metal Jacket, ou sur des terrains plus conventionnels, avec sollicitation de l'artillerie et expositions de conditions intenses. Dans sa description éloignée des clichés diabolisant l'ennemi et dans sa tonalité désabusée d'un regard froid sur la guerre, Les Forçats de la gloire se rapproche d'un autre film de Wellman qui sortira quelques années plus tard, Bastogne.

Aucune trace d'antimilitarisme bien sûr, et sans aller jusqu'à parler d'une approche documentaire, le film frappe par son haut degré de réalisme que ce soit pour évoquer l'attente pénible des hommes (en se focalisant sur quelques points, la faim, le manque de nourriture digne de ce nom, l'absence de femmes, et quelques lubies à l'image du tourne-disque qu'un soldat tente inlassablement de réparer pour écouter un enregistrement envoyé par son épouse avant de sombrer dans la folie) ou pour illustrer la pénibilité des avancées en territoires ennemis. Très étonnant de voir Wellman, ambulancier puis aviateur, dédier son film à l'infanterie en montrant le quotidien douloureux des sans-grades piégés dans la boue, un élément important du dernier segment du film, avec quelques références au luxe des membres de l'US Air Force qui eux meurent en restant propres. Un film dépourvu de lyrisme, constamment pragmatique, pudique dans l'émotion et la douleur, jamais complaisant avec la violence qu'il met en scène, avec quelques très belles scènes — parmi les plus marquantes, celles où la radio nazie tente de séduire les jeunes soldats américains avec une voix suave féminine les invitant à déserter et celle où le lieutenant incarné par Mitchum revient d'un paysage désolé, son corps ramené à dos d'âne.

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jeudi 14 décembre 2023

Été précoce (麦秋, Bakushū), de Yasujirō Ozu (1951)

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Le retour de Noriko aka Hara

Le cinéma d'Ozu est probablement bien défini, en première instance mais aussi, je trouve, de manière tout à fait valable, comme des variations plus ou moins marquées autour des mêmes thèmes qui reviendront du début à la fin de son parcours de cinéaste. Quand on a déjà vu une quinzaine de ses films, on a l'impression de l'avoir déjà vu et de tout connaître de Été précoce, avec ses conflits intergénérationnels latents, ses oppositions entre tradition et modernité, ses noyaux familiaux étendus sur trois générations qui cohabitent sous le même toit (un temps durant, au moins), et bien sûr ses conclusions qui déploient une amertume à mi-chemin entre la résignation joyeuse et le constat fataliste (qui ne trouvent d'équivalent dans le cinéma japonais que du côté de Naruse me semble-t-il). Autant de fragments qui une fois assemblés forment un portrait du Japon essentiellement d'après-guerre, si l'on oublie la part conséquente logée dans les années 30 et le début des années 40, avec un ou plusieurs personnages aux aspirations souvent en conflit avec une sorte d'état naturel des choses. Ici, c'est la presque trentenaire Noriko qui s'oppose à la tradition (et surtout à la volonté de sa famille) en choisissant dans un premier temps de vivre libre et de travailler pour assurer son indépendance, rejetant de fait le mariage arrangé qu'on lui tend sur un plateau d'argent (un homme d'affaires fortuné et correct sous tous rapports), et dans un second temps de se marier, certes, mais avec l'homme de son cœur.

La répétition des thématiques va jusqu'à faire de Été précoce (1951) une sorte de suite officieuse de Printemps tardif (1949), ou plus alternativement l'autre face d'une même pièce, puisqu'on retrouve Setsuko Hara et Chishū Ryū dans des rôles de premiers plans (mais aussi Haruko Sugimura et Kuniko Miyake, entre autres, interprétant des personnages plus secondaires), Hara étant dans les deux cas de figure le personnage sur lequel se cristallise le conflit moral et sociétal, et celui sur les épaules duquel pèse tout le poids des valeurs de la famille traditionnelle japonaise. Le caractère officieux de cette dualité est quand même à relativiser, étant donné que cette femme porte le même prénom dans les deux films, Noriko. La différence est malgré tout notable, puisque là où elle finissait par céder aux injonctions du père qui la poussait à se marier (avec pour conséquence une condamnation à la solitude chez ce dernier) en 1949, ici elle fait montre d'une force de caractère très nette, comme si c'était le même personnage qui avait appris de ses erreurs passées, en faisant le choix du mariage d'amour plutôt que les arrangements prévus par sa famille, suscitant la déception de tout le foyer ou presque. L'opposition entre les deux Noriko est à ce titre très franche, et offre ainsi un second point de vue très agréablement complémentaire.

Étonnant personnage qui jouit d'une liberté très nette dans sa capacité à affirmer ses choix et d'entrer en conflit avec la pensée normative (celle de la famille, mais on pourrait généraliser à un cadre national beaucoup plus large). L'émancipation ne se fait pourtant pas du tout dans la violence, au creux d'une mise en scène toujours aussi incroyablement maîtrisée, au contraire il y a une certaine douceur qui accompagne Noriko, sûre de sa volonté et de ses droits, et ce en dépit du grand désarroi qui la saisira lorsqu'elle réalisera les conséquences de son envol loin du domicile familial. Difficile de ne pas être ému par la séance de photo en famille, ultime pose, ultime réunion avant la dissolution. En toile de fond rôde l'insouciance des plus jeunes enfants, plein de malice et occasionnant quelques sas de décompression, toujours prompts à la boutade — et en ce sens précurseurs du potache de Bonjour qui sera plus amplement dédié aux enfants. Et à l'horizon, l'affirmation de l'identité féminine, lorsque Noriko répondra à un membre de la famille lui affirmant que "depuis la guerre, les femmes sont de plus en plus impudentes " : son "Certainement pas. Elles sont enfin normales" résonnera longtemps.

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