jeudi 14 décembre 2023

Été précoce (麦秋, Bakushū), de Yasujirō Ozu (1951)

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Le retour de Noriko aka Hara

Le cinéma d'Ozu est probablement bien défini, en première instance mais aussi, je trouve, de manière tout à fait valable, comme des variations plus ou moins marquées autour des mêmes thèmes qui reviendront du début à la fin de son parcours de cinéaste. Quand on a déjà vu une quinzaine de ses films, on a l'impression de l'avoir déjà vu et de tout connaître de Été précoce, avec ses conflits intergénérationnels latents, ses oppositions entre tradition et modernité, ses noyaux familiaux étendus sur trois générations qui cohabitent sous le même toit (un temps durant, au moins), et bien sûr ses conclusions qui déploient une amertume à mi-chemin entre la résignation joyeuse et le constat fataliste (qui ne trouvent d'équivalent dans le cinéma japonais que du côté de Naruse me semble-t-il). Autant de fragments qui une fois assemblés forment un portrait du Japon essentiellement d'après-guerre, si l'on oublie la part conséquente logée dans les années 30 et le début des années 40, avec un ou plusieurs personnages aux aspirations souvent en conflit avec une sorte d'état naturel des choses. Ici, c'est la presque trentenaire Noriko qui s'oppose à la tradition (et surtout à la volonté de sa famille) en choisissant dans un premier temps de vivre libre et de travailler pour assurer son indépendance, rejetant de fait le mariage arrangé qu'on lui tend sur un plateau d'argent (un homme d'affaires fortuné et correct sous tous rapports), et dans un second temps de se marier, certes, mais avec l'homme de son cœur.

La répétition des thématiques va jusqu'à faire de Été précoce (1951) une sorte de suite officieuse de Printemps tardif (1949), ou plus alternativement l'autre face d'une même pièce, puisqu'on retrouve Setsuko Hara et Chishū Ryū dans des rôles de premiers plans (mais aussi Haruko Sugimura et Kuniko Miyake, entre autres, interprétant des personnages plus secondaires), Hara étant dans les deux cas de figure le personnage sur lequel se cristallise le conflit moral et sociétal, et celui sur les épaules duquel pèse tout le poids des valeurs de la famille traditionnelle japonaise. Le caractère officieux de cette dualité est quand même à relativiser, étant donné que cette femme porte le même prénom dans les deux films, Noriko. La différence est malgré tout notable, puisque là où elle finissait par céder aux injonctions du père qui la poussait à se marier (avec pour conséquence une condamnation à la solitude chez ce dernier) en 1949, ici elle fait montre d'une force de caractère très nette, comme si c'était le même personnage qui avait appris de ses erreurs passées, en faisant le choix du mariage d'amour plutôt que les arrangements prévus par sa famille, suscitant la déception de tout le foyer ou presque. L'opposition entre les deux Noriko est à ce titre très franche, et offre ainsi un second point de vue très agréablement complémentaire.

Étonnant personnage qui jouit d'une liberté très nette dans sa capacité à affirmer ses choix et d'entrer en conflit avec la pensée normative (celle de la famille, mais on pourrait généraliser à un cadre national beaucoup plus large). L'émancipation ne se fait pourtant pas du tout dans la violence, au creux d'une mise en scène toujours aussi incroyablement maîtrisée, au contraire il y a une certaine douceur qui accompagne Noriko, sûre de sa volonté et de ses droits, et ce en dépit du grand désarroi qui la saisira lorsqu'elle réalisera les conséquences de son envol loin du domicile familial. Difficile de ne pas être ému par la séance de photo en famille, ultime pose, ultime réunion avant la dissolution. En toile de fond rôde l'insouciance des plus jeunes enfants, plein de malice et occasionnant quelques sas de décompression, toujours prompts à la boutade — et en ce sens précurseurs du potache de Bonjour qui sera plus amplement dédié aux enfants. Et à l'horizon, l'affirmation de l'identité féminine, lorsque Noriko répondra à un membre de la famille lui affirmant que "depuis la guerre, les femmes sont de plus en plus impudentes " : son "Certainement pas. Elles sont enfin normales" résonnera longtemps.

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La Source (Jungfrukällan), de Ingmar Bergman (1960)

Test

Odin contre Jésus-Christ

Première publication : 18/07/2015.

Après l'art du regard et l'analyse mélancolique du couple dans Monika (lire le billet), découvrir une nouvelle facette d'Ingmar Bergman à travers La Source est une véritable claque, une merveille d'esthétique, le théâtre d'un affrontement ancestral entre deux cultures au Moyen Âge. Délaissant les thématiques de l'âge, du souvenir et de la mélancolie développées dans Les Fraises sauvages (1957) non sans une certaine lourdeur (le côté salement intellectuel me rebute toujours après plusieurs visionnages), s'éloignant des considérations quelque peu métaphysiques du Septième Sceau (1957 également) mais en conservant son cadre médiéval, Bergman s'inspire d'une légende suédoise du 14ème siècle pour réaliser le beau et violent La Source.

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Il est ici question de quelque chose de beaucoup plus simple, direct, et d'un puissant symbolisme qui pourrait s'avérer poussif si le film ne revêtait pas les traits du conte. Le Suédois n'y va pas avec le dos de la petite cuillère quand il s'agit d'opposer christianisme et paganisme, le faste et la beauté de Max von Sydow (Töre) et Birgitta Pettersson (Karin) confrontés à la crasse et au stupre de bergers anonymes (leurs noms ne sont à aucun moment révélés). Mais la façon dont est racontée cette histoire rend la chose tout à fait acceptable. Le décor du Moyen Âge nordique d'une remarquable authenticité, la fresque rurale dans ces contrées reculées, et la peinture de la noirceur de l'âme humaine sont tout simplement fascinants. Et ce jusque dans les moindres détails, aussi simples que l'eau, la terre, la boue, la paille, le feu, la nourriture qu'on partage et le bois des habitations. La saleté de cet univers est très vite contrebalancée par la fraîcheur insolente de Katrin, fille de Töre au corps diaphane que l'on couvre des plus beaux costumes d'apparat, tissus et autres bijoux. Elle paiera cher le prix de sa beauté et sera confrontée au reste du monde, loin, très loin de l'amour familial et chrétien que lui porte (presque) tout son entourage. Vient le moment où La Source se transforme en une version noire et adulte du Petit Chaperon rouge : on peut y voir des références explicites (et anti-chronologiques) lorsque Karin partage son dernier repas avec les trois bergers et évoque les loups qui se cacheraient derrière d'innocents chevreaux, ainsi que les allusions répétées et insistantes à la blancheur de sa peau et à la finesse de sa taille sur un mode proche du fameux "Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents !".

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La scène du viol est intenable, bien sûr, en tant que telle mais aussi juxtaposée à celle où les deux horribles païens détroussent leur victime à peine tuée en la remuant comme un vulgaire bout de viande. Un sommet de violence et un choc de civilisation qui trouvent un certain écho dans la fameuse scène choc de Délivrance, qui elle aussi opposait deux conceptions de l'humanité, l'homme-cochon engraissé par la société et l'homme des bois sauvage. La colère et le déchaînement de violence à venir de la part de Max von Sydow sont d'autant plus prenants que Bergman a particulièrement soigné la description du folklore de ses croyances, source de douceur et de recueillement. Je suis resté pétrifié tout le long de la séquence durant laquelle il assouvit sa soif de vengeance, vengeance dont le bras armé semble commandé par une force supérieure. La scène de l'arrachage de l'arbre, symbole de mort et de punition religieuse à venir, est sublime. Le final, s'appuyant sur les dommages collatéraux de sa fureur, sur le questionnement de sa foi et de sa responsabilité mais aussi sur la beauté poétique, onirique, de l'apparition de la source, est un climax exceptionnel.

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N.B. : Après avoir déclaré qu'il s'agissait de son préféré, Bergman considérera ce film comme (maladroitement) inspiré du très bon Rashōmon de Kurosawa... Une chose est sûre, la ré-interprétation de Craven dans La Dernière maison sur la gauche fait un peu tache à côté.


Deuxième publication : 12/12/2023.

Revoir ce film de Bergman adapté d'une ballade médiévale suédoise du XIVe siècle n'aura pas été la chose la plus facile au monde, car l'exercice s'apparente dans mon cas, en toute subjectivité, à la confrontation à ce que je con-sidérais comme l'alpha et l'oméga du cinéma il y a presque une décennie. Et on sait bien à quel point le temps ne fait pas de cadeau...

Deux choses m'ont particulièrement frappé au terme de "Jungfrukällan", résultat d'un retour à une période parti-culière du cinéaste suédois (quelques années seulement après les beaucoup plus réputés "Le Septième Sceau" et "Les Fraises sauvages") qui semble tellement distante des errements de fin de carrière ("En présence d'un clown" et "Face à face" constituant les calvaires les plus éprouvants me concernant).

Tout d'abord, la concision du propos. C'est sans doute aidé en cela par la nature du matériau d'origine, formant le canevas assez simple d'un conte du Moyen Âge, mais Bergman fait preuve d'une étonnante sobriété discursive pour poser le cadre de cette campagne suédoise et de cette famille pratiquant un christianisme suranné réunie autour de son patriarche (Max von Sydow, magnifique) aimant et vertueux. Aucun tunnel philosophique, qui ont pu déboucher tour à tour au cours de sa filmographie sur des réflexions passionnantes ou sur des impasses pé-nibles, aucun excès dans la dramatisation psychologique : "La Source" brille par son pragmatisme limpide et dé-coupe le portrait de Karin, fille unique du couple, en usant de symboles clairs le long d'une narration très explicite.

Il faut ensuite reconnaître le travail incroyable réalisé par le chef opérateur Sven Nykvist, qui a su composer des ambiances assez folles et dans une variété de styles tout aussi saisissante. Les jeux de lumière à l'intérieur de la maison pour mettre en relief les traits des visages, soulignant la pureté des bons ou la perfidie des vilains, la blon-deur absolument rayonnante de Karin qui délivrera l'un des moments les plus forts et abjects du film au creux d'une magnifique clairière ensoleillée, l'opposition avec sa sœur adoptive brune et envieuse qui finira rongée par le regret, la laideur du crapaud jeté sur une nappe immaculée, l'affliction profonde du père dans l'avant-dernière partie avec l'insistance sur ses mains ou ses yeux, la séquence intense du déracinement du bouleau à l'aube avant la flagellation et les gestes de purification... Il ne fait aucun doute, il me semble, que le film n'aurait pas eu le quart de son intérêt sans ces motifs esthétiques et ces ambiances soignées pour souligner avec emphase le propos.

On pourrait être déçu par la rapidité avec laquelle la gestion du nœud principal est expédiée, et le caractère assez sommaire de l'opposition formulée entre la vengeance incontrôlable et la foi, entre la colère irrépressible et l'appel au calme intérieur, entre la croyance aveugle en un équilibre divin et la dureté du silence de dieu. Mais à mon sens le format du conte permet de parer naturellement à ces limitations, d'une part, en ayant recours à des symboles, à des essentialisations qui ne sont pas dommageables car en un sens évidentes, et d'autre part le tissu religieux s'insère spontanément dans le système de valeurs médiévales, renvoyant à des considérations et des préoccupa-tions localisées à une époque vieille de plusieurs siècles. Le conte se manifeste de manière peut-être la plus expli-cite lorsque Karin partage son dernier repas avec les trois chevriers, leurs références à la beauté de son corps créant un écho très net avec le loup dans "Le Petit Chaperon Rouge" — dans une version bien sûr infiniment plus cruelle.

Revenir à "La Source", c'est enfin relever les traces d'une noirceur invisible au premier regard, à commencer par le personnage de la mère bigote jusqu'au fond de ses mortifications. Lorsqu'elle donne à Karin une magnifique robe pour aller déposer des cierges à l'église, si c'est la beauté de l'habit qui nous parvient en premier lieu, c'est la dure-té des choses cachées qui jaillit lorsqu'elle précise que neuf jeunes filles se sont tuées à la tâche pour la confec-tionner. Lorsque les trois pouilleux sollicitent la générosité du couple pour qu'il les héberge, et lorsqu'ils proposent de leur revendre la robe souillée et déchirée de celle qu'ils viennent de violer et d'assassiner sans savoir qu'ils s'adressent à la mère de la victime, l'objet lui revient dans les bras et se charge d'une puissance, d'une douleur et d'un désenchantement qui semble lui exploser au visage comme le rappel d'une ostentation passée. Tout le monde sera confronté à l'horreur, à l'impuissance et à la souffrance, et Bergman l'affirme avec une force terrible.

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mercredi 13 décembre 2023

Phase IV, de Saul Bass (1974)

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"We knew then, that we were being changed... and made part of their world. We didn't know for what purpose... but we knew, we would be told."

Phase IV est un film intimidant, en tant que film culte de science-fiction des années 70 étant cité de manière très large dans des horizons divers, laissant également entrevoir une sorte de déception nécessaire, que ce soit à la découverte comme beaucoup d'œuvres dites cultes ou même (voire surtout) lorsqu'il s'agit de reposer dessus des yeux endurcis par dix années de cinéphilie / cinéphagie.

Entre-temps, j'ai pu parcourir la filmographie de Saul Bass — dont c'est l'unique long-métrage, l'histoire est connue, étant donné le four du film à sa sortie, ce dernier n'ayant acquis le statut de film culte que plusieurs années plus tard à l'occasion d'une nouvelle phase de diffusion. Cela ne l'a pas pour autant stoppé dans le processus de réalisation, puisqu'il est l'auteur d'une petite dizaine de courts-métrages étalés entre les années 60 et 80, souvent sur des thématiques de science-fiction, parfois du côté de l'animation, et en collaboration avec sa femme Elaine Bass à l'occasion de deux courts, The Solar Film (1980) et Quest (1984). C'est aussi pour son travail de graphiste qu'il jouit d'une excellente réputation, que ce soit pour la création de génériques ou d'affiches, en collaboration avec des monstres comme Otto Preminger, Alfred Hitchcock ou encore Martin Scorsese — voir à ce titre Bass on Titles, réalisé en 1982.

Deux choses choquent pas mal à la revoyure : la douleur d'un scénario poussif par endroits, et l'originalité globale qui se maintient très nettement.

C'est du côté de la direction des quelques acteurs que Phase IV pèche le plus lourdement, que ce soit dans la conduite de l'expérience scientifique avec son côté très désuet et ampoulé ou dans l'irruption du personnage féminin assez faiblement écrit. Le film n'est pas long mais souffre énormément de ces séquences trop mal foutues qui pouvaient éventuellement mystifier la foule des années 1970, alors qu'elles apparaissent aujourd'hui dans toute leur esbroufe. J'ai beaucoup de respect pour tout l'attirail de l'instrumentation analogique, les câbles, les vieux écrans d’oscilloscope où l'on voit les électrons former les spots fluorescents, mais le plan des deux chercheurs est quand même particulièrement rudimentaire. On peut dire que les fourmis sont infiniment plus passionnantes que les humains...

En revanche, immense respect pour la mise en scène des fourmis, systématiquement filmées en gros plan de façon à établir une équivalence avec l'espèce humaine, avec une gradation géniale dans la menace qu’elles font peser. Il faut apprécier le délire de formaliste, mais ces fourmis qui évoluent dans des sortes de catacombes aux formes très géométriques, ça produit un effet franchement stupéfiant — qui sera en plus exacerbé par la fin alternative, lorsqu'un personnage y sera projeté, occasionnant une sorte d'aperçu glaçant de ce qui attend l'humanité. Saul Bass est parvenu à leur conférer une intelligence tangible, dans leur réaction face au poison jaune, ainsi qu'une agressivité nette, au travers des nombreuses structures construites pour malmener la vie des protagonistes. C'est en tous cas une réussite sur ce plan-là bien au-delà de ce que le faux documentaire The Hellstrom Chronicle ("Des insectes et des hommes") avait pu proposer quelques années auparavant en 1971, même si les points communs sont loin d'être négligeables.

La réputation de Phase IV (une phase qui ne sera d'ailleurs jamais racontée, puisqu'elle démarre à la fin du film, début d'une nouvelle étape dans le plan des fourmis plus extraterrestres que jamais) reste donc à mes yeux justifiée, au moins en partie, pour la quantité impressionnante d'images qu'elle incruste dans les rétines. Les reflets métalliques des carapaces, les sortes d'enterrements ou cérémonies organisées dans leurs catacombes, le bout de poison traîné dans la souffrance jusqu'à la reine, quelques fragments morbides évoquant la catastrophe nucléaire, et même les sons générés par leurs communications... On n'est pas loin du film sur une apocalypse, en tous cas une série B de haute tenue au sujet de la fin de la domination de l'être humain sur son environnement, bizarrerie au sein du Nouvel Hollywood qui trouve un écho vraiment étrange avec les préoccupations écologistes de notre époque.

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mardi 12 décembre 2023

Joyland (جوائے لینڈ), de Saim Sadiq (2022)

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Paradoxe culturel et avenir imposé

Le premier film pakistanais que je vois, et probablement celui qui aborde une romance avec une femme trans avec la plus grande délicatesse et la plus grande sincérité. D'un point de vue occidental il est difficile de ne pas être surpris par le naturel avec lequel la thématique de la transidentité est abordée au Pakistan, mais ce serait en réalité passer à côté d'une particularité culturelle très forte comme l'explique le réalisateur Saim Sadiq : "Le Pakistan repose sur un système très patriarcal, mais c’est aussi paradoxalement un endroit où les femmes trans sont très visibles et très importantes. La coexistence, bien qu’elle soit superficielle, existe bel et bien. Avant la colonisation britannique, elles avaient un meilleur statut social. Elles étaient associées à la poésie, aux princesses, aux bonnes manières." Cet éclairage permet de comprendre pourquoi le personnage de Biba, danseuse trans, s'insère aussi spontanément et aussi naturellement dans la vie de Haider, pour former un triangle amoureux avec son épouse Mumtaz qui sera le révélateur de divers maux de la société patriarcale pakistanaise.

Par spontanéité et naturel, il faut l'entendre au sens où l'irruption de Biba dans la vie de cet homme se fait sans que la question de la transidentité ne se dégage de manière particulièrement originale : ce n'est qu'un paramètre parmi beaucoup d'autres. À commencer par le fait que Haider ne correspond pas au schéma souhaité par le patriarche, et dès que l'occasion se présente, il se soumettra à l'injonction qui veut que ce soit sa femme (et non lui, comme jusqu'à présent) qui s'occupera du foyer, délaissant le travail dans lequel elle s'émancipait parfaitement, et lui qui ira travailler. Joyland n'est pas exempt des limitations habituelles dans ce genre de mélodrame sentimental, en particulier dans le cadre de ceux qui abordent le thème du carcan familial et des contraintes qui plaquent les idéaux à terre, mais le récit brille malgré tout par sa pluralité de points de vue et par la fluidité de sa narration.

C'est ainsi un film dont l'axe principal pourrait être celui du poids du regard des autres, dans cette maison où cohabitent plusieurs générations et plusieurs cellules familiales. C'est sur Haider que pèse la responsabilité de devenir père (et d'un garçon préférentiellement), et elle sera transférée sur sa femme Mumtaz dès lors que la nouvelle de sa grossesse sera établie. L'occasion pour le film de poursuivre trois portraits importants dont deux féminins, d'une côté la femme trans assez bien intégrée dans la société pakistanaise mais qui peine à accéder au bonheur pour des raisons diverses, et de l'autre côté la femme qui a vu ses idéaux de jeunesse perverti par la vie de famille — très beau court flashback qui nous présente la rencontre entre Mumtaz et Haider, sous le signe de la sincérité et de l'indépendance, au-delà des contraintes du mariage arrangé, et qui dévoile en quoi ses espoirs ont été trahis. Comme souvent, c'est la solitude des trois personnages qui constitue le principal carburant de la tragédie, chacun étant isolé dans son assignation et dans ses entraves au désir.

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lundi 11 décembre 2023

Le Fils unique (一人息子, Hitori musuko), de Yasujirō Ozu (1936)

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Désillusion et acceptation

Les histoires de filiation, qu'elles soient contrariées ou dissimulées, sources de bonheur ou de mélancolie, traversent de part en part le cinéma d'Ozu et s'accompagnent systématiquement de thématiques transverses, l'évolution de la culture japonaise, le conflit entre générations, l'opposition entre vie rurale et vie citadine. Dans le récit d'une mère élevant seule son fils et prête à tous les sacrifices afin qu'il puisse faire des études à Tokyo, Le Fils unique trouve un écho spontanément touchant, aussi pudique que cette façon qu'a Ozu de filmer les sentiments, avec un film beaucoup plus réputé (et plus ambitieux, plus affiné, plus décisif) du cinéaste, Voyage à Tokyo, qu'il faudra attendre pendant encore 17 ans en 1936. C'est la rencontre d'une mère et de son fils, à l'occasion d'une visite surprise, après plus d'une décennie d'éloignement, et c'est le constat d'une trajectoire existentielle qui diffère quelque peu de ce qu'on s'était imaginé.

Pour son premier film parlant, Ozu ne semble pas tout à fait à l'aise en toutes circonstances, lui qui aura longtemps été réticent au procédé — 1936, à l'échelle du cinéma muet, c'est comme si un siècle de révolutions techniques s'était déjà écoulé. Au-delà de la piste sonore récemment restaurée qui craque quand même encore beaucoup (le dernier quart est très compliqué), l'héritage du cinéma muet lui permet malgré tout de conserver un charme époustouflant au détour de quelques scènes, et pas nécessairement les plus connues baptisées "à hauteur de tatami" : pour n'en citer qu'une, celle où mère et fils échangent leurs points de vue avec en toile de fond l'incinérateur en activité est bouleversant. L'occasion aussi de quelques particularités, comme cette séquence au cinéma avec un film allemand parlant, présenté par le fils comme un symbole de la modernité urbaine, durant lequel la mère s'endort au sommet de l'incompréhension, ou encore cette très belle et très longue séquence dénuée de personnage, consacrée à un pan de mur derrière lequel une femme pleure, un plan fixe évoquant comme un haïku le passage du temps et le lever du jour.

C'est avant tout une histoire de désillusion, l'amour maternel et son immense volonté se heurtant contre le mur de la réalité des classes ouvrières, empruntant à ce titre un descriptif très néoréaliste italien lorsque la mère découvre le taudis dans lequel habite son fils — elle apprend au passage qu'il a une femme, et puis un fils, et finalement qu'il n'est qu'un demi-professeur (comprendre : un pauvre petit enseignant du soir). Honte pour lui, déception pour elle. Ce n'était pas la vie qu'elle avait rêvée pour son enfant lorsqu'elle avait vendu sa maison afin de financer son départ à la capitale, elle la fileuse de soie désormais reléguée dans un dortoir sur son lieu de travail. Les derniers plans de Le Fils unique centrés sur le personnage de la mère laissent place à plusieurs interprétations, entre mélancolie des ambitions déçues et acceptation de l'homme bon, malgré tout, que son fils est devenu. Une grande pudeur pour évoquer un naufrage, des émotions sans frustration apparente mais cernées par l'amertume.

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vendredi 08 décembre 2023

Tartuffe (Herr Tartüff), de Friedrich Wilhelm Murnau (1925)

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"Sais-tu à côté de qui tu es assis ?"

Tartuffe selon Murnau, c'est avant tout un film dans le film, une mise en abîme qui voit un film sur Tartuffe projeté dans le film. Curieuse disposition qui place la pièce de Molière (résumée en 45 minutes) entre un prologue et un épilogue, à des fins morales et explicatives. À l'époque contemporaine de Murnau, l'action démarre par une arnaque exposée à nos yeux de spectateur sans détour : un homme vieux et riche, un peu naïf sur les bords, se fait manipuler par sa propriétaire qui lui fait la cour dans l'unique but de lui faire signer un papier qui assurerait un transfert d'héritage en sa faveur. Mais un jour, le fils du vieil homme surprend la harpie au beau milieu de ses manigances, et afin de régler le problème, il se déguise en projectionniste ambulant pour leur proposer une séance qui ne sera autre que l'histoire de Tartuffe.

Le principe est assez simple, puisqu'en exposant au travers de cette projection les méfaits de Tartuffe (un personnage de cour, Orgon, est tombé sous l'influence de Tartuffe, un grand hypocrite et un faux dévot, et ce dernier tentera d’accaparer ses biens et son épouse), la conclusion arrive immédiatement via un carton annonçant en substance "les hypocrites sont partout, et toi, sais-tu à côté de qui tu es assis ?". Une fable morale à l'intérieur du film, donc, qui résonne aussi de la même manière à la fin des années 1920 en Allemagne.

La grande attraction du film, même si elle arrive assez tardivement, c'est bien sûr Emil Jannings dans le rôle de Tartuffe, tout en excès, avec une tête assez incroyable qu'il essaie de dissimuler régulièrement derrière son petit livre symbole de pureté. Un grand monstre pétri de grotesque, de grimaces, à la limite de la difformité. Ce n'est manifestement pas un film qui figurera dans les grandes réalisations de Murnau mais c'est tout de même un théâtre d'expérimentation appréciable pour son expressionnisme allemand, avec en l'occurrence une affirmation de la puissance du cinéma comme révélateur de vérité (il sert entre autres à démasquer les imposteurs). Très belle séquence à la fin du film — projeté — lorsque le comportement de Tartuffe envers la femme d'Orgon trahit sa véritable nature, démasqué par Elmire elle-même en le séduisant, à la limite du cinéma horrifique.

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jeudi 07 décembre 2023

Ballet, de Frederick Wiseman (1995)

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Wiseman : "Length is linked to immersion."

Dans la catégorie des films de Frederick Wiseman démesurément longs, Ballet occupe une bonne place, avec ses près de trois heures aux côtés de l'American Ballet Theatre, la compagnie de ballet new-yorkaise la plus importante à l'époque du tournage, au début des années 1990. Qu'il s'agisse d'une troupe très homogène de danseurs ou un club de boxe (voir ici) rassemblant une population particulièrement hétérogène, la méthode observationnelle du documentariste est d'une efficacité nette qui n'a depuis longtemps plus besoin de faire ses preuves. On capte l'ambiance à travers une diversité de facteurs intéressante, ici en passant par les échauffements, les entraînements, les répétitions inlassables des mêmes gestes qui varient d'une quantité infinitésimale jusqu'à ce qu'ils correspondent à la vision des chorégraphes, les traditionnels échanges conflictuels (ici en l'occurrence une personne côté administratif qui se bat au téléphone au sujet d'un doublon dans le programme posant de très sérieux problèmes financiers), les entretiens en vue de potentiels recrutements, les à-côtés d'une tournée européenne à Athènes et Copenhague, ainsi que quelques extraits de représentations, finalement.

C'est une chose assez rare : le côté "non-écrémé" du montage produit des effets ambivalents, puisque si dans un premier temps il rend le visionnage éprouvant pour le commun des mortels n'étant pas familier ou pas particulièrement intéressé par une telle répétition d'exercices, il renforce au fil du temps le caractère intense de la préparation qui peut ne pas être directement visible lors d'un spectacle le jour J. Sans parler de tous les préparatifs techniques ayant trait aux costumes et aux maquillages, la recherche du mouvement parfait, position des bras, vitesse d'exécution, port de tête, battement des pieds, interaction avec le partenaire, devient presque intelligible. Un travail de titan pour transformer des corps a priori pas adaptés pour ce type de performances, des corps qu'on muscle, qu'on assouplit et qu'on coordonne, pour former un chœur uni et une expression artistique si singulière.

Il y a malgré tout beaucoup de surplus, et on pense en premier lieu à toutes les séquences de détente lorsque la troupe est en tournée en Europe. On comprend la respiration recherchée par Wiseman au montage après deux heures de travail acharné, mais il reste beaucoup trop de gras dans ces scènes à la plage ou dans des jardins, qui transpirent l'insignifiance sur une durée bien trop importante. On peut regretter aussi la place si réduite laissée en dernière intention au ballet à proprement parler, qui laisse au final assez peu de temps pour connecter les deux parties du documentaire. On voit très peu de ce qu'on a scruté lors des préparatifs dans le résultat final, étonnamment. Ce qui marquera le plus fortement, c'est l'endurance titanesque requise pour construire un tel acte, que l'on ne peut que constater, en totale immersion.

img1.png, nov. 2023 img2.png, nov. 2023 img3.png, nov. 2023 img4.png, nov. 2023 img5.png, nov. 2023 img6.png, nov. 2023 img7.png, nov. 2023

mercredi 06 décembre 2023

Le Pays des sourds, de Nicolas Philibert (1993)

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Le pays du silence et de la surdité

On retrouve ici le Nicolas Philibert avec lequel on peut être familier, celui de Être et avoir (un peu) et de La Moindre des choses (surtout), le documentariste qui sait sélectionner des sujets fortement intéressants, qui adopte une démarche tout en douceur et avec une sensibilité particulière, en laissant le thème se formuler de lui-même sans interaction forte (c'est-à-dire le plus souvent sans commentaire et sans question directe, bien que le discours soit parfois un peu trop explicite), mais aussi avec ses maladresses et son léger académisme consensuel qui pointe le bout de son nez de manière épisodique.

Avec Le Pays des sourds, le plus préjudiciable à mes yeux, c'est qu'il passe longtemps après le plus beau film réalisé sur un sujet connexe, Le Pays du silence et de l'obscurité. Faut pas chercher, passer après Werner Herzog, c'est rarement de bonne augure me concernant. Mais il y a ici un dispositif particulier qui rend le film attachant malgré tout, en dépit d'un petit parfum suranné de la méthode qui fleure les années 90 : Philibert n'adressera pas un mot aux personnes (sourdes ou non) qui apparaissent à l'écran, et au-delà de ça il a suivi un petit groupe de personnages de manière parfaitement aveugle, sans l'aide d'un spécialiste, sans accompagnement aucun. Comme il le dit lui-même, "J'avais choisi de plonger d'un seul coup dans l'étrangeté de la langue des signes, sans interprète ni aide extérieure. Au début, j'étais perdu... Je n'avais pas de repères. J'avais tenu à ne pas rencontrer les spécialistes, les médecins, les éducateurs, les psychologues. Si je l'avais fait, les sourds auraient eu l'impression d'être approchés comme des cas d'étude".

Ce qui en ressort, c'est une plongée dans un monde de silence ponctué de sonorités notables, celles des personnes sourdes qui s'expriment aussi par la voix de manière pas toujours contrôlée, et celles des sessions où précisément des enfants sourds apprennent à maîtriser leur voix et travailler leur compréhension orale quand cela leur est possible (en fonction de leur condition) — sans tricher, c'est-à-dire sans lire sur les lèvres. Très intéressantes séquences où l'on voit les enfants essayer d'établir une corrélation entre la vibration ressentie dans leur gorge et le niveau / timbre du son émis. Si l'on ne connaissait pas déjà cet univers, on découvre un microcosme bouillonnant de modes d'expression malgré le sens qui leur fait défaut, par les signes exécutés autant que par les expressions du visage et du corps. Ce qui a le plus vieilli est manifestement du côté des captations à l'école, avec de longs passages un peu mous dans l'empathie recherchée, mais dans l'ensemble il se dégage du docu une grande pudeur et quelques passages (des dialogues en langue des signes face caméra notamment) sous la forme de témoignages très touchants, comme par exemple cette femme mal diagnostiquée qui a atterri dans un hôpital psychiatrique ou cet homme qui dit au sujet de sa fille, entendante, qu'il aurait presque préféré qu'elle naisse sourde comme lui car "la communication aurait été plus facile. Mais je l'aime quand même".

img1.jpg, nov. 2023 img2.jpg, nov. 2023 img3.jpg, nov. 2023

mardi 05 décembre 2023

Pour l'exemple (King & Country), de Joseph Losey (1964)

pour_l_exemple.jpg, nov. 2023
"A proper court is concerned with law. It's a bit amateur to plead for justice."

King & Country prend pour contexte le front belge lors de la Première Guerre mondiale, dans la région des Flandres alors administrée par l'armée anglaise, et s'intéresse aux dernières 24 heures d'un jeune soldat britannique accusé de désertion. Le film pourrait se résumer à ça : des soldats qui pataugent la boue, quelques passages dans une prison militaire coincée entre deux tranchées, et un simili tribunal militaire très rudimentaire composé en tout et pour tout d'une table, de quelques chaises et de quelques gradés de l'armée, une cour martiale qui va devoir statuer sur ce fait de désertion et qui se soldera par une condamnation à mort si ce dernier est avéré.

Joseph Losey offre un point de vue britannique sur la peine capitale prévue par la loi militaire en temps de guerre qui s'établit assez naturellement comme une vision complémentaire à celle de Stanley Kubrick dans Les Sentiers de la gloire (sorti en 1957), avec dans le rôle d'avocat de la défense un militaire dans chacun des deux cas, Kirk Douglas chez Kubrick et Dirk Bogarde chez Losey. Mais ce rapprochement ne fut pas forcément évident à l'époque puisque bien que sorti 7 années auparavant, le film de Kubrick subit une censure (voire une autocensure, les producteurs n'ayant pas demandé de visa d'exploitation au ministre chargé du cinéma français, et ce même si les autorités françaises exercèrent une pression sur d'autres pays européens) en France et ne sortira que dans les années 1970.

C'est donc à une dénonciation d'une horreur de guerre un peu taboue que Losey prend part, en s'attaquant à l'exécution de soldats par leur propre armée tout autant qu'à une justice rendue par la même machine qui juge et qui broie les individus. On ressent un certain didactisme dans Pour l'exemple qui se manifeste par un excès de dialogues démonstratifs s'assurant que tout est bien explicité, au cas où le message ne serait pas clair — de fait, il l'est. Mais si le film s'en sort avec les honneurs, au-delà de son ambiance glauque propre aux tranchées filmées de manière très aride, c'est notamment grâce à la relation qui se noue entre le soldat déserteur Hamp et son défenseur le capitaine Hargreaves, respectivement interprétés par Tom Courtenay (le révolté dans La Solitude du coureur de fond de Tony Richardson) et Dirk Bogarde (que Losey retrouve ici l'année suivant la sortie de The Servant).

Un film cruel et un peu raide qui montre deux échecs lors d'un procès sommaire, un homme perdant sa défense et un autre perdant sa vie. On ne connaîtra jamais vraiment les raisons qui ont conduit le jeune soldat à tenter de déserter, même si le faisceau d'indices est large : l'épuisement lié à un conflit qui s'éternise, les conditions abominables qui contraignent les petites recrues à côtoyer les rats et les cadavres, ou plus prosaïquement la boucherie qui a décimé son régiment, déchiqueté par les bombes, dont il est l'unique survivant. Losey a la main lourde à plusieurs reprises, que ce soit au travers d'un symbolisme parfois appuyé ou de quelques mises en scène scolaires (les soldats qui jouent avec un rat et recréent un tribunal de pacotille), mais la confrontation de cet engagé volontaire à la froideur d'une cour martiale reste une réussite. Une victime de plus au creux de la pourriture, de l'absurdité, et de l'ennui envahissant.

img1.png, nov. 2023 img2.png, nov. 2023 img3.png, nov. 2023

lundi 04 décembre 2023

La Dame de tout le monde (La signora di tutti), de Max Ophüls (1934)

dame_de_tout_le_monde.jpg, nov. 2023
Les raisons de la solitude

L'unique incursion de Max Ophüls dans la production italienne est en grande partie liée à sa volonté d'échapper à la menace nazie de son Allemagne natale (chose un peu étonnante donc, que d'aller se réfugier chez les fascistes, m'enfin bon). Dans le sillon du mélodrame ayant pour figure centrale une femme, c'est vrai que La signora di tutti évoque une sorte d'ascendant de Lola Montès qu'il réalisera presque 20 ans plus tard, l'histoire d'un drame au travers des rencontres d'une vie toute entière. Mais ici, personnellement je n'ai pas ressenti la délicatesse tragique de, par exemple, Letter from an Unknown Woman : au contraire, à part quelques belles fulgurances, la charge sentimentale m'est apparue quelque peu poussive.

Rien à redire au sujet de l'introduction : excellente entrée en matière, avec la discussion entre deux hommes au sujet d'une femme absente, le parcours de l'un d'entre eux à travers un plateau de cinéma pour aller retrouver cette personne, et la découverte du drame, il tombe sur une tentative de suicide. Allongée sur la table opératoire où les chirurgiens vont tenter de la ranimer, à moitié consciente, la descente de l'arrivée de gaz pour l'anesthésie enclenche une série de flashbacks qui constituera l'intégralité du récit — avant une conclusion de quelques instants, de retour au temps présent, pour un final qui, disons, enfonce le clou du tragique. Très belle image cela étant dit de l'impression de l'affiche du film (dans le film) qui s'arrête brutalement, mettant les machines à l'arrêt en même temps que la tragédie se noue.

La construction du personnage dans toutes ses douleurs presque paradoxales est pourtant très belle : elle aborde de front la thématique de la solitude qui peut se cacher derrière le vernis faussement réparateur de la célébrité. Car si Gaby Doriot a tenté de se suicider, c'est bien parce qu'elle aura été privée toute sa vie d'un amour authentique, loin des aventures superficielles et des scandales qui ont rythmé les apparences. Le mélodrame est malgré tout un peu trop chargé à mon goût, le scénario donne l'impression de s'essouffler assez vite et de s'enliser dans les environs de son objectif. On voit poindre un questionnement autour de sa responsabilité dans cette solitude, plusieurs conceptions s'opposent ("elle était victime" contre "elle l'a un peu cherché" pour le résumer brutalement), mais je n'ai pas totalement plongé dans le portrait de cette femme maudite. Isa Miranda est en revanche vraiment incroyable, une cousine italienne de Dietrich et Garbo.

img1.png, nov. 2023 img2.png, nov. 2023 img3.png, nov. 2023 img4.png, nov. 2023 img5.png, nov. 2023

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