lundi 23 janvier 2023

À l'Ouest, rien de nouveau, de Edward Berger (2022)

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Boucherie

Cette nouvelle adaptation de À l'Ouest, rien de nouveau (90 ans après celle de Lewis Milestone) est une réponse cinglante et fort à propos au regard qu'avait porté Sam Mendes sur la Première Guerre mondiale à travers son 1917 il y a trois ans, tout en plans-séquences hors sol et en propreté déplacée. La version de Edward Berger est loin d'être irréprochable mais elle est d'une efficacité et d'une pertinence toutes autres à mes yeux, tout en explorant une piste graphique d'ampleur similaire.

Esthétiquement, on peut déjà dire que le budget (merci Netflix je suppose) permet de mettre en scène de très nombreuses séquences avec puissance, que ce soit via certains plans-séquences marquants (l'introduction par exemple, même si le schéma commence presque à devenir un cliché) ou dans l'instauration d'un climat glacé apocalyptique (très beaux éclairages opposant le froid bleuté de la neige et les sources lumineuses rougeoyantes). Les classiques sont là, neige, boue, sang, mais tout est exécuté avec précision.

Ce point de vue, allemand, est quand même infiniment plus intéressant que ce que Mendes a pu proposer il me semble. Un film sur une défaite sera en un sens toujours plus beau que celui sur une victoire, et ici la bataille est double : en cette fin de guerre, les combats font rage dans le nord-est de la France tandis que les généraux négocient l'armistice. Le film n'est pas du tout exempt de clichés, de raccourcis, de passages trop appuyés : notamment j'ai été assez déçu par les trois derniers quarts d'heure, vraiment de trop dans le registre du surplus d'horreur. Il y avait quand même de la marge pour éviter le happy end, pas la peine de sombrer dans un tel cocktail de boucherie et de stupidité guerrière pour terminer la grande parabole qui avait commencé avec l'euphorie des jeunes troupes en introduction (un peu minée par l'épisode de l'étiquette). Deux fautes de goût notables : la répétition de la séquence chez les fermiers, qui tourne mal, et la concomitance armistice / mort d'un personnage. Pas trop emballé non plus par le contraste poussif entre l'horreur viscérale des tranchées et le calme propre de l'intérieur des salons des généraux : c'est vraiment superflu, au cinéma, quoique bien relié à une vérité historique. Même constat au sujet de l'opposition Foch / Erzberger.

Cela étant dit, il y a quelque chose de fascinant dans la beauté de la mise en scène sans cesse corrélée avec l'ampleur de la boucherie, avec de très nombreux gros plans sur des horreurs sanglantes — peut-être un peu trop de plans fixes insistant sur certains cadavres, mais c'est selon les goûts. La peur qui gonfle dans les rangs allemands est rendue avec beaucoup d'intensité, et je pense qu'on se rappellera pendant longtemps de l'arrivée des chars français sur le champ de bataille, ainsi que des lance-flammes et les avions. Glaçant. Au même titre que toutes les scènes de bataille ceci dit, très bien mises en scène. J'ai en outre étonnamment apprécié l'utilisation très anachronique de la musique, qu'on croirait parfois sortie des mains de Hans Zimmer pour un film de science-fiction : très surprenant.

img1.jpg, janv. 2023 img2.jpg, janv. 2023 img3.jpg, janv. 2023 img4.jpg, janv. 2023 img5.jpg, janv. 2023 img6.jpg, janv. 2023

vendredi 20 janvier 2023

Contes cruels du Bushido, de Tadashi Imai (1963)

contes_cruels_du_bushido.jpg, déc. 2022
Seppuku d'hier et d'aujourd'hui

Le thème du film de Tadashi Imai est très proche de celui de Masaki Kobayashi, le sublime Harakiri (aka Seppuku) : montrer le versant négatif du code d'honneur du bushido, en marge de toutes les formes de célébrations classiquement mises en avant. Sans surprise Contes cruels du Bushido n'atteint pas à mon sens son niveau d'excellence mais c'est malgré tout une incursion très intéressante dans le genre, en dépit d'une forme légèrement artificielle dans sa structure : à l'époque contemporaine, suite à la tentative de suicide de sa femme, un homme tombe sur des archives familiales et se remémore les atrocités endurées par ses ancêtres samouraïs depuis le XVIIe siècle au nom de leur fameux code d'honneur.

C'est donc une œuvre qui adopte la structure du film à sketches sans vraiment en être un, en parcourant l'histoire de la famille sur sept générations depuis le début du shogunat Tokugawa jusqu'au début des années 1960. L'idée très ambitieuse, presque farfelue, est de trouver un dénominateur commun à toutes ces époques en illustrant les décisions extrêmes que les membres de la famille ont dû prendre, les situations dans lesquelles ils se sont retrouvés parce qu'ils ont suivi des codes de dévotion et de loyauté envers (selon l'époque) un seigneur, un pays, une entreprise. Ils le paient de la vie d'un proche ou de la leur, et il faudra une prise de conscience aigüe, électrique, de la part du protagoniste pour tenter de se sortir de cette ornière.

Très originale façon de parcourir la vie de ses ancêtres en tous cas, en sillonnant l'histoire à travers diverses formes de violence, à l'époque féodale ou contemporaine, entre noblesse militaire et conglomérat économique. Quelques passages impliquant un seppuku sont particulièrement marquants, mis en scène avec une sécheresse acérée et au creux d'une photographie très efficace. Contes cruels du Bushido confectionne à ce titre une charge virulente contre une partie de l'héritage national, tenu pour origine (au moins partielle) des aliénations de l'ère moderne. Dans la mise en perspective de cette persistance morbide, ce respect d'un code cruel montré comme absurde, hier envers les nobles et aujourd'hui envers l'industrie en passant par les obligations par temps de guerre, le film démontre une acuité extrêmement saillante.

img1.png, déc. 2022img2.png, déc. 2022 img3.png, déc. 2022

jeudi 19 janvier 2023

Sans filtre, de Ruben Östlund (2022)

sans_filtre.jpg, déc. 2022
"Never argue with an idiot, they'll only bring you down to their level and beat you with experience."

Je trouve le cheminement de Ruben Östlund assez cohérent au cours des 15 dernières années, et fidèle à un style qu'il maîtrise bien. Le procédé est souvent le même, et peut agacer pour plein de raisons : il prend le format de la fable morale pour gratter à des endroits souvent douloureux. La dose de cynisme et de misanthropie peut varier, le schéma de démonstration peut lasser de par sa répétitivité au fil des films, la dimension grotesque volontaire peut exaspérer, mais malgré toutes ces potentielles réserves au sujet d'une recette qui pourrait paraître "facile", à titre personnel la direction dans laquelle Östlund mitraille et la manière avec laquelle il le fait me paraissent particulièrement pertinentes, et chose non-négligeables, drôles. Et puis des satires "faciles" de ce genre, je serai prêt à en regarder plus régulièrement, pour être tout à fait sincère.

Triangle of Sadness n'est pas exempt de lourdeurs, et ce sont les séquences correspondant à l'introduction (l'addition au resto) et au dernier segment (survival sur une île déserte) qui m'ont le plus rebuté, indépendamment du caractère très pertinent du fond. La première parce qu'elle est lourde,  maladroite et assez insistante, la seconde parce qu'elle est vraiment superflue et enfonce un coin fendeur sur lequel on avait déjà martelé à grands coups de merlin pendant deux heures.

Donc, après le petit monde de l'art contemporain dans son précédent film, c'est au tour de la mode et des influenceurs de prendre pour leur grade. Tout n'est que prétexte pour déverser un torrent de boue, mais pour une fois, la gratuité et le grotesque de la caricature m'ont paru extrêmement efficaces. J'ai autant rigolé lors de la scène du repas (et son crescendo vomitif accompagné d'oscillations du bateau en plein tangage) qu'en imaginant le public cannois devant un tel spectacle. La formule est vraiment éventée, on enchaîne les formes de violences, d'humiliations et de soumissions en tous genres avec une régularité métronomique, mais je n'y peut rien, j'ai savouré. Même Woody Harrelson en capitaine marxiste affrontant un industriel russe capitaliste ayant fait fortune avec du fumier au travers d'une joute verbale impliquant des citations de Ronald Reagan, Thatcher, Edward Abbey, Mark Twain, Karl Marx et Lénine m'a fait mourir de rire. "Growth for the sake of growth is the ideology of a cancer cell — That's Edward Abbey" ou "Never argue with an idiot, they'll only bring you down to their level and beat you with experience. Mark Twain" ou "Do you know how to tell a communist? It's someone who reads Marx and Lenin. And do you know how to tell an anti-communist? It's someone who understands Marx and Lenin — It's Ronald Reagan" ou encore "The last capitalist we hang will be the one who sold us the rope. Karl Marx". Complètement débile, mais tellement drôle. Même la tension qui s'impose dans le dernier tiers, avec des jeux multiples dans la mise en scène autour de la façon par laquelle une forme de violence sauvage pourrait surgir, m'a paru très convaincante.

Les fils sont gros, impossible de le nier. Le coup du couple de vieux britanniques et de leur fortune faite avec "des engins de précision" qui finissent explosés par ces mêmes engins, à savoir des grenades, sont sans doute l'archétype du procédé. Bourrin, mais efficace. Je suppose que tout découle de l'adhésion et de l'immersion, ou non, dans le délire et dans l'ambiance du yacht. Clairement le film n'est pas d'une modestie sans faille, il aurait pu écarter beaucoup de choses y compris dans la satire pure, mais impossible pour moi de nier que presque tout m'a fait marrer — même la remise à zéro des compteurs sur l'île façon Marivaux, avec inversion des rapports dominants / dominés, n'est pas complètement stérile. De voir le monde contemporain souillé de la sorte, en filant des pains dans toutes les directions (la misanthropie est surtout condensée dans le discours sur la réversibilité du mal tout à fait naturelle, qui verrait les dominations s'inverser à la moindre occasion, ce qui me paraît pertinent, par opposition avec l'angélisme d'une vision contraire), rappelle qu'on n'a pas si souvent l'occasion de s'y confronter dans le cadre de ce cinéma.

Je vois dans Sans filtre une étrange hybridation entre Haneke, Allen et Tati, avec une option de grande farce qui échantillonne soigneusement ses sujets et ses attaques. La gestion de l'équilibre entre rire et malaise, même si elle n'est ni nouvelle ni fine, demeure efficace dans son refus de la réconciliation. Ce n'est pas un film poli, c'est un euphémisme si on repense à quelques scènes — la vieille qui chavire de gauche à droite en essayant de vomir aux chiottes, bon sang. Bien sûr qu'on n'a pas attendu Östlund pour comprendre que les sociétés occidentales sont profondément inégalitaires, que richesse et amoralité ne sont pas antagonistes, et que la cupidité semble primer sur la solidarité dans nombre de situations. Mais son côté provocateur pour décrire le monde de l'argent roi carbure à un humour qui me parle beaucoup, et qui va au-delà de la caricature qu'il reprend de film en film, au-delà de la répétition, en poussant toujours plus loin les curseurs de la vacherie. Personnellement je trouve que c'est un miroir intéressant et fertile de la violence que l'on peut observer au quotidien.

img1.jpg, déc. 2022 img2.jpg, déc. 2022 img3.jpg, déc. 2022

mercredi 18 janvier 2023

Eaux troubles, de Tadashi Imai (1953)

eaux_troubles.jpg, déc. 2022
Destins de femmes

Eaux troubles, parfois appelé Destins de femmes, est un film composé de trois segments qui prennent la forme de trois portraits de femmes sous l'ère Meiji, à la fin du XIXe siècle au Japon. Le film à sketches est plutôt à la mode dans les années 50, un peu partout dans le monde (États-Unis, France et Japon du moins), et la structure est très souvent bancale, au mieux, et disgracieuse au pire, avec à mon sens le sentiment fréquent que les parties qui le composent sont assemblées de manière artificielle. Ce n'est pas du tout le cas de celui-ci dont la structure est travaillée afin de produire un effet particulier : la durée va crescendo, 20 minutes, 40 minutes, puis 60 minutes, et l'intensité est à l'avenant, avec un premier segment proche du muet et arborant une lenteur singulière, tout en retenue, un second plus dynamique et un dernier particulièrement animé, bruyant, et aux conséquences les plus tragiques.

Ma préférence va clairement au tout premier, le plus simple, épuré et beau. Il développe une poésie du désespoir amoureux et de la solitude très pudique, tout en non-dits délicats. On aborde de manière franche la condition féminine à travers un mariage arrangé et une femme au bord du gouffre, mais aussi la rencontre fortuite avec une ancienne connaissance, à la faveur d'un trajet en pousse-pousse, avec une très belle scène de nuit dans une ruelle sombre et au clair de lune.

La seconde partie est à la fois plus classique est plus attendue dans la formulation d'un suspense peu consistant, comme une variation de Cendrillon. La situation de la servante maltraitée par ses employeurs et sollicitée par sa famille pour de l'argent, la précipitant face à un dilemme quelque peu artificiel, n'est pas d'une éloquence folle.

Le troisième et plus important segment ressemble à un film de Mizoguchi avec la vie dans un bordel et le destin d'une prostituée partagée essentiellement entre deux clients, l'un régulier, peu aimable, et cherchant à fuir sa famille, l'autre nouvellement rencontré et beaucoup plus attentionné à son égard. C'est celui qui dispose du plus de temps pour construire des personnages complexes. On file tout droit vers un final tragique au plus haut point, après avoir erré à travers les différents salons de l'établissement et observé les batifolages des différentes parties.

img1.png, déc. 2022 img2.png, déc. 2022 img3.png, déc. 2022 img4.png, déc. 2022

mardi 17 janvier 2023

Serre moi fort, de Mathieu Amalric (2021)

serre_moi_fort.jpg, déc. 2022
Poésie fragmentée de la tristesse

Ils sont rares les mélodrames contemporains à m'émouvoir, donc je vais essayer de ne pas trop gâcher ce plaisir.

Mathieu Amalric parvient à trouver un équilibre beau, juste et surtout attrayant dans la description de l'état d'esprit du personnage de Vicky Krieps (vue récemment dans Corsage) qui, comme le suggère le synopsis, "semble être une femme qui s'en va". On est à mi-chemin entre le film d'auteur français et le mystère, sur une ligne de crête fébrile, qui allie délicatesse du fond et étrangeté de la forme.

Autant la mise en scène s'affirme tout de suite à travers ses anomalies, invite à se poser de nombreuses questions sur la nature des images qui nous sont montrées, autant l'origine de ces dérèglements ne se dévoilera qu'au terme d'un long cheminement, de multiples vacillements. Serre moi fort (l'origine du titre omettant le tiret est un peu pompeuse) est une vraie réussite de ce point de vue-là, dans cet alliage d'originalité et d'héritage cinématographique, de montré et de suggéré, de réalité et de son altération. Ça ressemble à une fugue, une mère qui fuit le domicile, sa famille, son mari, ses enfants, ça commence comme le portrait d'une femme déséquilibrée sans qu'on puisse doser l'amplitude de ce déséquilibre, et puis on s'embarque sur d'autres rails soudainement, lorsqu'on accède à la réalité de sa déstabilisation.

Le montage fragmenté parvient à induire une incertitude particulièrement féconde, qui fait qu'on ne sait plus dans quel espace on se situe, le réel, le souvenir, ou l'imaginaire. Et cette sensation de perte de repère n'est à aucun moment désagréable, ce qui en fait toute la singularité, et tout l'intérêt pour moi. Ce n'est pas un film à puzzle où il faut recoller les bouts, c'est plus un film de dissonances et de chancellements, et in fine un détournement de catastrophe traumatique. La douleur qui frappe la femme comme un tourbillon étourdissant, avec ses surimpressions sonores de voix intérieures, traduit un chagrin vertigineux. À mesure que le voile de tristesse se précise, tout l'imaginaire familial d'un quotidien fantasmé explose à la gueule, avec son lot de projections intérieures peuplées d'absents. Le geste d'Amalric finit par imposer des questions répétitives (souvenir ou invention ?), mais la poésie mélancolique qui s'en dégage est, de temps en temps, bouleversante.

img1.jpg, déc. 2022 img2.jpg, déc. 2022 img3.jpg, déc. 2022 img4.jpg, déc. 2022

lundi 16 janvier 2023

L'Évadé du camp 1, de Roy Ward Baker (1957)

evade_du_camp_1.jpg, janv. 2023
A history of escapes

L'histoire (vraie) est assez folle : un pilote de chasse allemand, en 1940 pendant les opérations de la bataille d'Angleterre, est capturé, fait prisonnier, et parviendra à s'échapper lors d'un transfert au Canada en atteignant la frontière états-unienne, pays neutre à ce moment-là de la Seconde Guerre mondiale.
Le contexte de production est presque aussi fou : moins de 12 ans après la fin de la guerre, c'est un réalisateur britannique qui met en scène l'histoire de ce soldat allemand, sans en faire une caricature aryenne, et au contraire en soulignant l'opiniâtreté absolue du personnage.
La question en suspens : pourquoi The One That Got Away n'est-il pas un si bon film que ça, sur la base de ces constatations plutôt élogieuses ?

Le souci est double à mes yeux. D'une part, afin de pouvoir mettre en avant un personnage issu de l'Allemagne nazie, Roy Ward Baker a pris le parti de totalement gommer les aspérités de l'aviateur, d'en retirer tous les aspects politiques. On fait de Franz Von Werra un soldat très bienveillant, joueur, bon perdant, très souvent souriant. Bien sûr, si la figure montrée avait été un sombre nazillon, il y aurait eu un problème moral, mais clairement, il y avait la place pour développer précisément ces aspects de soldat allemand non-nazi jusqu'au bout des ongles, plutôt que de partir d'un postulat sans jamais rien approfondir. Cela participe à faire de Hardy Krüger (très bon au demeurant, bien que beaucoup moins troublant que dans Les Dimanches de Ville d'Avray, proche du personnage de Steve McQueen dans La Grande Évasion) une coquille un peu vide.

D'autre part, pour un film qui se veut d'aventures, il est bien dommage de filmer ainsi des tentatives d'évasion répétées : le gars semble bénéficier d'une marge de manœuvre hallucinante pour pouvoir s'échapper d'une promenade de santé, s'enfuir d'un camp via des tunnels, ou sauter d'un train pour partir à travers les forêts enneigées canadiennes. On aurait pu rendre ces péripéties un peu plus crédibles. Dommage, car avec le caractère vantard et charmeur du type, sa pratique du bluff et ses ressources multiples, dans un écrin neutre, il y avait là matière à quelque chose d'excellent. Et au final, la morale anglaise est sauve car c’est le seul prisonnier (connu) a être parvenu à s’évader et on précise qu’il est parvenu à rentrer en Allemagne en 1941 mais qu’il n’est jamais revenu d’une mission peu de temps après.

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dimanche 15 janvier 2023

L'Affaire Mattei, de Francesco Rosi (1972)

affaire_mattei.jpg, déc. 2022
Ennemi public n°1

Enrico Mattei était un personnage italien qui avait réussi dans les années 60 à se mettre à dos une quantité invraisemblable de sociétés, d'institutions, et d'intérêts divers diversement dangereux. Il est mort dans un accident d'avion, potentiellement et très probablement plutôt un attentat commis par l'un des très nombreux candidats au meurtre.

En premier lieu, ce pourrait être un ordre de compagnies pétrolières américaines car il avait vertement remis en cause leur monopole dans la gestion de l'approvisionnement du pétrole en Italie — il avait baptisé "les Sept Sœurs" les plus grandes compagnies pétrolières de l'époque. Officiellement mandaté en mai 1944 pour liquider la compagnie Agip, il apprend que de gros gisements de méthane situés dans la région de Milan sont convoités et il décide de maintenir la société dans le giron de l'État afin d'en faire l'instrument privilégié du développement et de l'indépendance énergétique du pays. Premier gros mauvais point pour son intégrité physique. Il était également accusé d'avoir soutenu et financé le FLN pendant la guerre d'Algérie, en échange de concessions pour le groupe Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) public à l'époque. De quoi tendre la SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ancienne DGSE) française de l'époque, voire l'OAS. Son successeur figure également dans la liste des suspects.

Le constat est déjà édifiant, et pose le film davantage comme une source de questions que comme pourvoyeur de réponses.

Mais les ennuis ne s'arrêtent pas là, puisque le réalisateur Rosi engagea le journaliste Mauro De Mauro afin d'enquêter pour les besoins de ce film dossier, et ce dernier finira enlevé à Palerme, son corps n'ayant jamais été retrouvé. Là aussi plusieurs hypothèses se bousculent, témoignant la volonté tenace de certains de maintenir des affaires enterrées : les Carabinieri pensaient que sa mort était due à une enquête précédente du journaliste sur le trafic de drogue, là où la police nationale privilégiait la piste mafieuse (mafia ou autre). En tous cas, dans le genre du film-dossier, difficile de faire plus communiquer les deux côtés de la caméra. Sans parler de l'assassinat de Pasolini en 1975, son roman inachevé Pétrole ayant pour sujet l'identité des assassins de Enrico Mattei.

Quoi qu'il en soit, un gros paquet d'emmerdes entoure ce film, qui arbore par ailleurs une chronologie éclatée et une structure peu conventionnelle. Le tissu socio-culturo-économico-politique est très dense, et le film reste éprouvant à regarder par ses logorrhées incessantes. Mattei, qui se disait enivré par le succès "l’homme italien le plus important depuis Jules César", aura manifestement eu une mort à la hauteur. Gian Maria Volonté, présent dans les deux films ayant obtenu la Palme d’or à Cannes en 1972 (celui-ci et La classe ouvrière va au paradis), s’impose clairement. Le film, bien que tumultueux et en un sens brouillon (en tous cas difficile à suivre dans son montage intense), est un support à de très nombreuses réflexions assez folles.

img1.jpg, déc. 2022 img2.jpg, déc. 2022 img3.jpg, déc. 2022 img4.jpg, déc. 2022

mardi 10 janvier 2023

Meurtre dans un jardin anglais, de Peter Greenaway (1982)

meurtre_dans_un_jardin_anglais.jpg, déc. 2022
"When your speech is as coarse as your face, Louis, then you sound as impotent by day as you perform by night."

Meurtre dans un jardin anglais (ou The Draughtsman's Contract) est un film largement inclassable, évoluant au travers de différents styles et poursuivant des objectifs variés avant de se refermer comme un piège dans les dernières minutes. La longue introduction en plans fixes (que Peter Greenaway aurait aimé faire durer plus d'une demi-heure, contre l'avis des producteurs) donne le ton, et on est dans un premier temps totalement paumé, comme abandonné au milieu d'un univers dont on ne comprend pas grand-chose. Le ton est partagé entre l'humour et l'inquiétant, suscitant des sentiments très divers : à titre personnel j'aime beaucoup être malmené de la sorte, quand de manière très subjective le jeu en vaut la chandelle.

Peu à peu la situation s'éclaire : à la fin du XVIIe siècle dans un grand manoir anglais, une famille issue de la haute noblesse invite un peintre-paysagiste réputé à venir effectuer douze dessins du domaine du mari. La contrepartie n'est pas que pécuniaire : madame s'engage à satisfaire l'appétit sexuel du peintre une heure par jour. Pendant longtemps, on se laisse guider dans cette ambiance étrange dont on ne comprend pas les vraies contraintes sous-jacentes, mais lorsque le mystère se dissipe, le film fait l'effet d'un joli coup de fouet.

Le personnage du dessinateur, le jeune Neville, compose un caractère savoureux, constant dans son indolence et dans ses excès tandis qu'il profite et abuse de l'hospitalité offerte par madame en l'absence de monsieur. Il ne comprend pas ce qui est en train de se tramer, il le comprendra bien trop tard d'ailleurs, et toute l'intrigue autour des 12 dessins est jalonnée par la présence de détails insignifiants en apparence (et en apparence seulement) : un vêtement sur un arbre, une paire de bottes, une échelle contre un mur, autant d'accessoires qu'il reproduit fidèlement et presque scolairement.

Et Greenaway de déployer un humour noir dans un formalisme très singulier, entre étude psychologique et énigme policière, entre marivaudages pervers et réflexions artistiques tout en perruques, riches costumes et chandelles. Les dialogues sont en outre un festival de bons mots et de traits d'esprit, de répliques cinglantes et de sous-entendus ravageurs. Il y a les remontrances directes : "When your speech is as coarse as your face, Louis, then you sound as impotent by day as you perform by night" ; les tirades grivoises faussement distancées : "You must forgive my curiosity, madam, and open your knees" ; ou encore les accès de burlesque : "Why is that dutchman waving his arms about? Is he homesick for windmills?". Au final, c'est davantage la construction de l'intrigue qui importe plutôt que l'intrigue elle-même, et cette vanité potentielle constitue à mes yeux la principale limitation.

img1.png, déc. 2022 img2.png, déc. 2022 img3.png, déc. 2022 img4.png, déc. 2022 img5.png, déc. 2022

lundi 09 janvier 2023

Terre et soldats, de Tomotaka Tasaka (1939)

terre_et_soldats.jpg, déc. 2022
La guerre, la guerre, la guerre

En matière de cinéma de propagande de guerre, on cite très souvent tout ce que l'industrie hollywoodienne ou le régime soviétique ont pu proposer, dans des sensibilités et des objectifs bien distincts, mais le Japon dispose d'un corpus non-négligeable et même au-delà du passage obligé qui englobe la Seconde Guerre mondiale. Terre et soldats a ainsi été produit dans les années 30, très peu de temps après le conflit (initié en 1931 et terminé en 1945 suite à l'intervention de l'armée russe) en question et sur les vrais champs de bataille de Mandchourie. L'objectif était vraisemblablement de sensibiliser la société japonaise aux conditions de vie des soldats au front en Chine.

Le résultat est assez surprenant, à la fois très simple, très original, et très clivant. Deux heures intégralement consacrées à un compte-rendu immersif de combats depuis le terrain, aux côtés des troupes japonaises, au jour le jour, et parfois même avec l'impression de se dérouler en temps réel. Il n'y a que ça : des soldats qui marchent, qui avancent dans des conditions difficiles, qui tirent et délogent les ennemis de leurs positions défensives. Une vision très singulière, détachée de tout héroïsme individuel et clairement attachée à retranscrire un esprit de groupe, avec des combats succédant aux combats. De temps en temps, une scène de repos fait office de répit : les soldats se reposent, blaguent, lavent la boue de leurs vêtements avant de repartir. De temps en temps, un blessé, mais pas de sang. De temps en temps, un écart à la norme qui pourrait être comique en dehors de tout contexte militaire, avec par exemple un soldat qui s'endort en marchant et qui tombe à l'eau.

Deux heures de combats intenses, donc, alors que l'ennemi sera invariablement invisible. Deux heures d'affrontements mais filmés à une échelle presque microscopique, sans qu'on ne voie la portée de telle ou telle opération : des bunkers sont nettoyés à la grenade, des ouvertures sont créées dans les murs à coups d'armes lourdes, des ponts mobiles sont déployés sous un orage de mitrailleuses, mais il faut attendre presque la fin pour réaliser la réussite de la mission. Pas de tanks, pas de grandes manœuvres, juste des soldats qui avancent lentement dans un style presque documentaire et avec des dialogues extrêmement parcimonieux. Une épreuve assez rude qui prend la forme d'un exercice de style âpre, sec, tendu, et unique en son genre.

img1.png, déc. 2022 img2.png, déc. 2022 img3.png, déc. 2022 img4.png, déc. 2022 img5.png, déc. 2022 img6.png, déc. 2022

vendredi 06 janvier 2023

L.W., de King Gizzard & The Lizard Wizard (2021)

lw.jpg, janv. 2023

L.W. est la troisième expérimentation du côté des sons microtonaux de la part des Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard, et c'est pour moi le plus réussi après Flying Microtonal Banana et le premier volet du diptyque formé avec le présent album, K.G.. J'ai la sensation que sur le disque précédent on était dans le délire d'un groupe qui faisait mumuse avec leurs guitares orientales, à en caler un peu partout à outrance (même s'ils avaient l'air de beaucoup s'amuser, on ne pourra jamais remettre ça en question !), et que désormais, enfin, ils se sont décidés à faire de la musique avec. Histoire de caricaturer légèrement. Drôle d'ambiance, à la fois récente et rétro, un peu Garage, un peu Prog, pour filer vers un final Stoner surprenant — mais auquel on s'attend un peu de leur part. J'aime bien des morceaux comme Pleura qui combinent les sonorités arabisantes et le fuzz à gogo, ou d'autres plus hypnotisants comme Supreme Ascendancy et Static Electricity. Pas trop client du chant sur Ataraxia en revanche. Un album assez bigarré, j'aime bien, voie j'aime beaucoup.

À noter que les fous furieux ont sorti 5 albums en 2022...

Extrait de l'album : Pleura.

À écouter également : Supreme Ascendancy et Static Electricity.

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