jeudi 19 octobre 2023

Désordres (Unrueh), de Cyril Schäublin (2022)

desordres.jpg, oct. 2023
Anarchisme, capitalisme, ressorts et balanciers

Saint-Imier, un petit village suisse, fin du XIXe siècle. Pierre Kropotkine, géographe dans la veine d'Élisée Reclus pas encore tout à fait sensibilisé à la cause anarchiste à la fin des années 1870, erre dans les parages pour relever des informations topologiques et créer de nouvelles cartes plus précises des environs. L'encart initial avec une citation de sa part pourrait mettre sur la mauvaise voie : il ne s'agit pas du tout d'une biographie, il restera d'ailleurs largement dans l'arrière-plan, comme personnage secondaire. Non Désordres (Unrueh en version originale, un terme allemand désignant à la fois une pièce d'horlogerie, le balancier, mais signifiant également agitation : pertinence maximale pour un titre) s'intéresse avant tout au travail d'ouvrières de l'industrie horlogère, à l'orée de bouleversements technologiques qui vont voir s'affronter deux mouvements. La rationalisation toute fordiste du temps de travail prônée par le capitalisme, qui consiste à chronométrer les tâches, identifier les chemins les plus rapides, et maximiser les profits en augmentant autant que possible les cadences, et la progression des idées anarchistes au sein de la population locale, tout particulièrement auprès des travailleuses.

Mais derrière le terme affrontement, il ne faut pas s'attendre à des oppositions frontales ou des invectives qui vireraient au physique : c'est là la grande particularité de Désordres, qui sans doute endormira les uns et passionnera les autres, puisque tout se déroulera au travers d'échanges extrêmement cordiaux et feutrés, avec moult politesse, au creux de convenances exacerbées qui finissent comme par magie par souligner la violence de l'époque. Que ce soit pour signifier une absence de droit de vote (car les impôts n'ont pas été payés) ou pour notifier un licenciement sec (pour voir manifesté une accointance avec des anarchistes), ce sont des mots pas plus hauts que les autres qui sortent de la bouche des contremaîtres et des notables. Cette ambiance presque surréaliste est vraiment géniale, et permet de laisser s'exprimer le sujet principal : à travers la mesure du temps et sa corrélation à l'argent, on assiste à la naissance des cadences dans les usines et l'apparition du capitalisme dans ce petit coin de Suisse.

C'est ainsi dans un cadre presque paternel et bienveillant que s'installe progressivement une pression sur les ouvrières, pour augmenter le nombre de montres mécaniques montées par jour. À la précision des gestes que les femmes accomplissent sous l'œil de leurs loupes monoculaires, les dirigeants chronomètrent, inlassablement, chaque fraction de la chaîne de montage et réorganisent le travail. Cyril Schäublin et son directeur de la photographie sont parvenus à instiller un sentiment d'étrangeté très singulier à l'occasion de nombreux plans extérieurs cadrés bizarrement, avec souvent plusieurs groupes de personnages filmés de loin et écrasés dans un coin du plan. Tous ces plans ne sont pas aussi justifiés les uns que les autres, mais il y a tout de même une sensation de précision dans l'observation qui se dégage, avec en complément les nombreux "ne rentrez pas dans l’image !" assénés aux ouvriers et aux passants par les gendarmes qui encadrent la prise de photos de l'usine à des fins commerciales.

L'évolution et la cohabitation des deux courants, capitaliste et anarchiste, forme une toile de fond vraiment captivante dans leur volonté de sonder timidement les forces en présence, de tirer profit des avancées technologiques de leur époque (photographie et télégraphie essentiellement). Et le film se termine sur une sorte de coup de foudre savoureux, surprenant, Kropotkine tombant sous le charme d'une ouvrière qui lui explique dans tous les détails techniques le contenu de son travail et le fonctionnement d'une montre. Désordres, avec sa profusion de précisions techniques autour de l'assemblage de montres, avec sa multitude d'objets d'horlogerie issus d'un autre temps, avec son enveloppe sonore remplie de bruitages mécaniques (rouages, balanciers, ressorts, rotors), est décidément une curiosité étonnante à de multiples niveaux.

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mercredi 18 octobre 2023

En Angleterre occupée (It Happened Here), de Kevin Brownlow et Andrew Mollo (1966)

en_angleterre_occupee.jpg, oct. 2023
"The appalling thing about fascism is that you've got to use fascist methods to get rid of it."

L'originalité d'un film comme It Happened Here, s'intéressant à l'uchronie d'une Allemagne nazie qui aurait réussi à envahir l'Angleterre en juin 1940, est redoublée par son contexte de production. Un projet qui s'étala sur huit années avec un budget rachitique, qui reposa sur des acteurs non-professionnels, qui bénéficia de l'aide de cinéastes professionnels comme Stanley Kubrick (pour des bouts de pellicules) ou Tony Richardson (pour un soutien financier), et qui à l'origine fut initié par un duo de réalisateurs alors âgés de... 18 et 16 ans. Et franchement, il y a de quoi être bluffé bien au-delà des approximations techniques et de la forme pas toujours gracieuse, dans la maturité du regard qui accompagne une infirmière irlandaise, arrivée à Londres après avoir fui son village, et dans son évolution en tant qu'infirmière dans un pays sous le joug d'une armée d'occupation.

Je crois qu'on peut qualifier l'absence de manichéisme pour ce film qui débuta à la fin des années 1950 d'assez extraordinaire. Le personnage principal de l'infirmière, Pauline, interprétée par une femme qui n'était pas actrice, se définit dans un premier temps au travers de sa navigation à vue, sans anticipation, avec d'un côté ceux qui pensent que la collaboration est la meilleure option et de l'autre ceux qui s'impliquent dans la résistance. C'est ainsi dans un premier temps un personnage qui s'intègre dans la structure d'une institution nazie, au sein d'une unité mobile de soin, sans idéologie particulièrement revendiquée, avant tout prise dans le tumulte de son temps et occupée par les vies à sauver, quelles qu'elles soient. Graduellement, une conscience émerge.

Il y a deux événements marquants dans En Angleterre occupée. Le premier, c'est une scène de débat entre plusieurs personnages, certains relativement apolitiques et d'autres frontalement nazis, ces derniers expliquant la supériorité de la race aryenne, les relations entre judaïsme et communisme, et tout ce à quoi on peut s'attendre de la part de personnalités aussi cramées du cerveau. Le problème, ou plutôt l'originalité, c'est que le rôle du nazi de service est confié à un véritable néo-nazi. Une scène glaçante évidemment, montrant un hitlérisme ordinaire, au malaise amplifié, qui fut d'ailleurs coupée au montage pendant très longtemps avant d'être réintégrée. Le second se situe dans un hôpital dans un coin de campagne anglaise, au calme, où Pauline a été réaffectée après avoir été accusée de tendances non-collaborationnistes. Un jour, un groupe d'ouvriers polonais est accueilli pour les soigner, tous étant atteints de tuberculose et nécessitant une vaccination. Pauline est chargée d'administrer le vaccin, mais sans qu'elle ne le sache, il y avait une autre substance dans les seringues... Une séquence tragique et effrayante.

On peut regretter que le film expédie aussi abruptement sa conclusion, les cinq dernières minutes étant aussi denses que précipitées et brouillonnes. Mais It Happened Here reste un film marquant, en décalage complet avec le reste des productions de l'époque (et au-delà) sur des thématiques similaires.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023

mardi 17 octobre 2023

Guerre et Paix (Война и мир, Voïna i mir), de Sergueï Bondartchouk (1967)

guerre_et_paix.jpg, oct. 2023
Querelles sentimentales feutrées et boucherie des champs de bataille

Guerre et Paix de Sergueï Bondartchouk, c'est en quelque sorte la version soviétique, en couleur et parlant du pharaonique Napoléon d'Abel Gance, une fresque historique aussi épique qu'immense, et dans le même temps une sorte de revanche pour l'URSS en pleine Guerre froide (il reçut l'Oscar du film étranger) sur l'adaptation américaine un peu falote de King Vidor sortie une dizaine d'année plus tôt. On le présente souvent comme une orgie technique en avançant des arguments-massues, des centaines de milliers de figurants directement prélevés dans les rangs de l'armée rouge, des scènes de batailles dantesques qui durent près d'une heure, des costumes réalisés par milliers par des musées, une durée de tournage / montage de quatre ans, ou encore un budget démentiel qui s'élèverait à 100 millions de dollars de l'époque (soit 700 millions d'aujourd'hui), même si ces chiffres sont contestés et pourraient être en réalité 10 fois moindre. Mais cela pourrait très bien relever, il faut oser l'écrire, du détail : ce qui frappe en premier lieu dans ce film, à mes yeux, c'est cette vision typiquement russe de l'histoire, multipliant les personnages sans jamais quitter un point de vue très distant et extérieur aux drames qui se nouent devant la caméra, qu'ils surviennent dans les intérieurs dorés de l'aristocratie moscovite ou sur les champs de bataille ensanglantés jonchés de cadavres.

Près de sept heures de film, agréablement découpées en 4 parties, cela a de quoi intimider — à titre personnel, il m'aura fallu 6 ans pour oser m'y lancer et deux jours pour en venir à bout. L'ampleur de la fresque historique est monumentale, étalée sur deux décennies au début du XIXe siècle, et centrée sur la campagne napoléonienne de Russie, sur l'invasion française de l'empire russe, des succès de la France qui se soldent par la prise de Moscou jusqu'au harcèlement de la Grande Armée pendant la retraite française. Au-delà des parties qui le composent, on peut segmenter Guerre et Paix en deux grands mouvements : les séquences en intérieur, avec les mondanités aristocratiques, ses grands bals dégageant un faste et une opulence sans comparaison, ses petits scandales récurrents, et le destin de plusieurs familles fortunées déchirées par la guerre ; puis les séquences en extérieur, en grande partie dévolues à des reconstitutions de batailles renversantes, impressionnantes par l'immensité de leurs décors autant que par leur caractère immersif et chaotique — c'est là qu'il faut reconnaître que oui, en effet, les centaines de milliers de figurants font la différence, l'horizon est saturé de bataillons, avec des mouvements de foule à perte de vue, l'artillerie s'en donne à cœur joie, les combats font rage sur des kilomètres carrés, les charges des régiments de cavalerie sont incroyables, il y a seulement quelques duels à la baïonnette qui manquent un peu de vigueur.

Si presque toutes les séquences ayant trait aux combats armés sont convaincantes, il n'en est pas de même pour les épisodes plus intimes, entre amours, amitiés, déceptions, trahisons. Sans pouvoir juger personnellement la qualité de l'adaptation du roman de Tolstoï, on peut avoir le sentiment d'un abus de gros plans sur le magnifique visage de Lioudmila Savelieva en pleurs, la comtesse Natalia, avec ses yeux d'un bleu abyssal, de même qu'il y a tout de même une certaine obstination dans le jeu très (très) affecté de Sergueï Bondartchouk lui-même dans le rôle de Pierre Bezoukhov. Malgré tout il reste une finesse dans les descriptions psychologiques et une diversité dans les thématiques abordées on ne peut plus appréciables, quand bien même la démesure du lyrisme sur sept heures pourrait éreinter. La voix off permet de distiller agréablement le texte de Tolstoï, mais peut aussi se transformer par endroits en d'ennuyeux monologues, contrepoids parfois un peu maladroits aux tourments existentiels des personnages principaux.

Le film regorge en outre de tableaux apocalyptiques, dans le froid mortel des plaines sibériennes comme dans les flammes de Moscou dévasté après le passage des troupes françaises. Le formalisme russe conserve une part d'émerveillement conséquente, même passé à travers la machine académique d'une production de cette envergure. En matière de combats phénoménaux qui confinent au surréaliste, je crois bien que cette reconstitution de la bataille de la Moskova (ou Borodino) est la chose la plus sidérante que j'aie vue, avec des envolées lyriques qui pourraient être reliées qu'un Sokourov n'aurait pas renié (avec notamment de nombreuses séquences en grand angle multipliant les distorsions optiques sur les bords, accentuant ci et là l'horreur sur les visages). Difficile par ailleurs de ne pas voir quelques allusions directes à Gance, avec par exemple quelques plans composés sous la forme de triptyques horizontaux. Au-delà des références, cette adaptation de Guerre et Paix est aussi exigeante, de par l'implication qu'elle demande, qu'elle est gratifiante dans son impétuosité pour raconter un morceau de l'histoire russe.

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lundi 16 octobre 2023

La Bataille du Chili (La batalla de Chile: La lucha de un pueblo sin armas), de Patricio Guzmán (1975, 1976, 1979)

bataille_du_chili.jpg, oct. 2023
Chroniques d'un coup d'état

1ère partie : L'Insurrection de la bourgeoisie

Lorsqu'il enregistre les images et les sons de La Bataille du Chili, Patricio Guzmán réalise un documentaire en se trouvant exactement au bon endroit au bon moment, au détour d'une charnière historique dont il ne pouvait mesurer pleinement l'ampleur à l'époque du tournage, et qui aujourd'hui revêt une signification, une intensité et une émotion toutes incroyables. C'est sans doute un triptyque à ranger aux côtés du film de Abbas Fahdel en deux parties, Homeland : Irak année zéro, sur la chute de Saddam Hussein et l’invasion américaine de 2003. Guzmán sillonnait la capitale chilienne quelques mois avant le coup d'état militaire du 11 septembre 1973, et les images de rue autant que les témoignages glanés auprès des différentes parties ont une valeur littéralement inestimable.

C'est donc une chronique des tensions politiques naissantes au tout début de l'année 1973, alors qu'à la surprise générale le gouvernement de Salvador Allende (à qui il consacrera un documentaire en 2004 portant son nom) est démocratiquement élu. Ce sont les prémices de la contre-révolution, qui trouveront pour point d'orgue le renversement d'Allende par un putsch militaire activement soutenu par les États-Unis et l'installation au pouvoir d'une dictature dirigée par Augusto Pinochet qui durera près de 17 ans jusqu'en 1990.

Pendant tout le docu, on a l'impression de parcourir les coulisses (bien réelles) du film (de fiction) de Costa-GavrasMissing - Porté disparu, qui s'intéressait précisément à la disparition d'un écrivain américain dans le tumulte des événements autour de Santiago. Guzmán capte dans un premier temps l'effervescence de la campagne électorale, en parcourant les foules et les sympathisants de tous bords et en recueillant sur le vif des réactions diverses, des bourgeois et d'ouvriers. Progressivement la dynamique des rapports de force prend une tournure surprenante, pour peu que l'on fasse abstraction historiquement de ce que l'on sait qui va advenir, puisque l'opposition au gouvernement Allende élu de manière inattendue se structure autour d'une réponse de plus en plus violente. C'est donc par hasard que la caméra enregistre de l'intérieur la structuration d'une stratégie d'affaiblissement du gouvernement, pas à pas, jusqu'à l'asphyxie économique.

Au travers d'une série de reportages de rue, de rassemblements politiques, de confrontations violentes, on réalise à quel point Guzmán a eu de la chance (ou du flair) de réunir autant d'images de ces mouvements sociaux, comme notamment la grève des mines de cuivre ou nombre d'autres perturbations financées par l'administration Nixon. Et cette première partie, sous-titrée "L'Insurrection de la bourgeoisie", de se terminer sur une image aussi choquante que bouleversante, l'assassinat du caméraman argentin et suédois Leonardo Henrichsen par un soldat participant au coup d'état.


2ème partie : Le Coup d'État militaire

Le deuxième volet de La Bataille du Chili, bien qu'il soit sorti un an plus tard (pour des raisons qu'on imagine liées à des contraintes de production d'un tel film dans de telles conditions, les pellicules provenant par exemple de France, cadeau de Chris Marker) reprend le cours des événements exactement là où le premier s'était arrêté, et laisse de côté la captation de l'ambiance des rues pour tracer la trajectoire qui mènera au coup d'état du 11 septembre 1973. En partant de la première tentative de renversement du pouvoir par le groupe paramilitaire fasciste Patrie et Liberté en juin 1973, repoussée par les troupes restées loyales au gouvernement, le film épouse l'intensification des conflits entre les différents camps et témoigne très bien du caractère exceptionnel de la situation à laquelle doit faire face Allende. Face à lui, entre autres, des mouvements de résistance soutenus et financés par le gouvernement américain — à l'image de cette impressionnante grève des transporteurs routiers financée par la CIA qui paralysera le pays via la distribution de nourriture et de carburant.

Patricio Guzmán montre bien le basculement stratégique de l'opposition, qui après l'échec de la tentative de destitution d'Allende, adopte un comportement beaucoup plus violent à mesure qu'une partie de l'armée pose le terrain pour le coup d'état à venir. Au travers des témoignages nombreux, on ressent un climat hautement singulier, avec d'un côté des divisions profondes à gauche quant à la position à adopter face aux menaces, et de l'autre une intervention militaire en préparation que tout le monde pressent : tout le monde en parle. La guerre civile n'est pas bien loin en milieu d'année 1973, jusqu'à l'assassinat par l'extrême droite de l'aide de camp naval d'Allende, Arturo Araya Peeters. Parmi les officiers du camp loyaliste, lors de son enterrement, on remarque un certain Augusto Pinochet.

Ce volet se termine lui aussi sur des images d'une rare intensité, avec le bombardement du palais de la Moneda par des avions de chasse, avec en fond sonore les derniers messages radios d'Allende adressés au peuple chilien. Les dirigeants de la junte s'afficheront ensuite à la télévision, annonçant "le retour à l'ordre du pays" et la fin "du cancer marxiste qui aura duré trois ans".


3ème partie : Le Pouvoir populaire

Pour clore son triptyque réalisé au cœur de la tourmente, Patricio Guzmán revient quelques années en arrière, autour de 1972 (le troisième volet sortira plus tardivement, en 1979) pour s'intéresser à la structuration du travail, chez les ouvriers et les paysans, qui a conduit à la formation de milliers de groupes locaux — le "Pouvoir populaire" du sous-titre — dont la mission consistait essentiellement à distribuer de la nourriture et empêcher le sabotage d'usines en ces temps de crise profonde. C'est à mes yeux le segment le moins percutant des trois, glissant du militantisme visible à la propagande un peu trop appuyée sans que la narration et la mise en scène ne s'accompagnent, par exemple, d'un lyrisme communicatif à la Eisenstein ou Kalatozov.

Le docu est concentré en quelque sorte sur la réponse des ouvriers au contenu du premier volet, "L'Insurrection de la bourgeoisie", et leur stratégie d'occupation des lieux de travail ainsi que d'autogestion en gestation au travers de la formation de "cordones industriales". En tant que témoignage de cette époque de l'histoire chilienne, le contenu reste éminemment intéressant, mais on se situe tout de même un gros cran en-dessous des deux premiers volets en matière de puissance documentaire. Dans cet épisode, le gouvernement Allende ne sera quasiment pas cité, le ton change assez radicalement pour mettre l'accent sur les vertus des expérimentations politiques locales. Instructif, mais peu passionnant.

img1.png, oct. 2023 img2.png, oct. 2023 img3.png, oct. 2023 img4.png, oct. 2023 img5.png, oct. 2023 img6.png, oct. 2023 img7.png, oct. 2023 img8.png, oct. 2023 img9.png, oct. 2023 img10.png, oct. 2023

dimanche 15 octobre 2023

Les Bonnes Causes, de Christian-Jaque (1963)

bonnes_causes.jpg, oct. 2023
Piégé(e)s

Un film très original de la part de Christian-Jaque, plus habitué des productions françaises traditionnelles souvent raillées par la Nouvelle Vague : d'abord lancé sur des rails qu'on croit prévisibles, avec l'assassinat d'un homme fortuné suite au changement (par sa femme) d'une ampoule administrée en intraveineuse par une infirmière, il s'engage par la suite dans une enquête policière retorse et un final au prétoire qui brillera par son écriture et sa capacité à suivre une voie rarement choisie au cinéma. La femme, interprétée par Marina Vlady avec beaucoup de talent, accuse l'infirmière Virna Lisi dans ce qui ressemble à un piège savamment orchestré. L'avocat de la femme, Pierre Brasseur dans un excès savoureux de manières aristocrates, accessoirement amant de cette dernière, la défend et lui obéit au doigt et à l'œil comme s'il était victime d'un ensorcellement. Et au milieu du vacarme, il y a Bourvil dans un rôle sérieux éloigné de toutes les comédies qu'on a en tête, en juge d'instruction intègre, patient, et agissant dans un but unique : la recherche de la vérité, loin du culte des apparences.

Dans un premier temps, on peut être un peu gêné par le caractère très ostentatoire de Marina Vlady qui surjoue quelque peu la femme ayant tendu un piège en remplaçant un médicament par un produit toxique, et faisant semblant de découvrir l'accident au moment exact où il vient de survenir. Mais finalement ce malaise disparaît assez vite dès lors que l'enquête déroule son cours et que les interactions entre les différentes parties s'affirment et s'affinent. Il y a un peu de Witness for the Prosecution dans Les Bonnes Causes, dans les rapports conflictuels et intéressés qui lient les personnages, à la différence près que Billy Wilder conserve la plus grosse part de mystère pour la fin là où Christian-Jaque termine son film sur une pirouette sarcastique. Ici, en ce qui concerne le meurtre, on est tout de suite placé dans la confidence et on n'a aucun doute sur la culpabilité ou l'innocence des deux femmes : c'est davantage sur le terrain des intentions et des manipulations que les surprises vont germer. Et puis c'est probablement l'un des plus beaux rôles de Bourvil dans un registre inhabituel, touchant et crédible, consciencieux et réservé, soumis à des pressions des coups bas de la part de la partie adverse et qui finira dans l'anonymat le plus total. Il y a beaucoup d'incohérences et d'invraisemblances dans le déroulement de l'enquête, dans le comportement des professionnels, mais ça n'enlève rien à l'originalité du scénario et de sa dynamique.

img1.png, oct. 2023 img2.png, oct. 2023 img3.png, oct. 2023 img4.png, oct. 2023 img5.png, oct. 2023 img6.png, oct. 2023

vendredi 13 octobre 2023

La Tribu du tunnel, de Florent Marcie (1995)

tribu_du_tunnel.jpg, oct. 2023
Les miséreux s'organisent

Immersion totale et réussie dans un ancien tunnel ferroviaire désaffecté, dans un coin de Paris, en compagnie de 4 "tunnelois". Florent Marcie, qui est accessoirement photographe et grand reporter officiant en marge des grands médias traditionnels (par la suite il se rendra à Sarajevo, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, en Irak), a passé un peu plus d'un an en compagnie des quatre sans-abris Sylvain, Richard, Nono et Calou autour de leur point d'ancrage qu'ils ont aménagé et personnalisé à leur sauce. Ils en sont très fiers : chacun dispose de sa "chambre", il y a un coin douche, un coin pharmacie, et grand luxe, une télé trône dans la chambre du chef, Richard, pour regarder notamment des matches — en noir et blanc pouilleux, autant dire qu'on est loin de la HD mais même des standards des années 1990 et qu'on s'écorche les yeux très vite.

Florent Marcie s'est intéressé essentiellement à leur fonctionnement et à leur organisation très particulière, le niveau de structuration du groupe étant assez poussé : il y a le responsable sécurité qui veille au grain et assure la cuisine, celui qui gère l'entretien et les lessives, celui qui fait les courses, celui qui gère le compte commun, etc. Ils sont tous au RMI et ils mutualisent cette unique source de revenu pour parer aux différentes situations et faire les achats ponctuels nécessaires. Le niveau de planification est vraiment surprenant, à tel point que des SDF du quartier viennent de temps en temps leur rendre visite pour une petite séance de rasage ou de pétanque.

On en oublierait presque à quel point il s'agit d'un abri de fortune, avec cette solidarité qui parfois laisse place à des engueulades vigoureuses... Tout n'est évidemment pas rose, et on songe à Nono qui a fini en prison en voulant renouveler ses papiers d'identité, rattrapé par une vieille histoire de bagarre. Visiblement Marcie est adepte d'une production maison, avec des bouts de ficelle, et on peut à ce titre pardonner l'esthétique assez peu ambitieuse de reportage France 3. En revanche on peut regretter la lourdeur de la voix off qui commente absolument toutes les images, même si elle donne une grande quantité d'informations importantes.

À noter, le montage est réalisé par Yannick Kergoat, le futur co-réalisateur de Les Nouveaux Chiens de garde avec Gilles Balbastre en 2011.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023 img4.jpg, oct. 2023

jeudi 12 octobre 2023

Le Bel Antonio (Il bell'Antonio), de Mauro Bolognini (1960)

bel_antonioA.jpg, oct. 2023 bel_antonioB.jpg, oct. 2023
Impressions d'impuissance

Coup de maître de la part du réalisateur Mauro Bolognini et du scénariste Pier Paolo Pasolini que d'avoir réuni deux sex symbols comme Marcello Mastroianni et Claudia Cardinale, au potentiel sensuel et sexuel relativement incomparable dans l'Italie des années 1960, pour mieux les confronter sur le terrain d'un drame conjugal dont le carburant provient d'un tabou assez fort. Car Mastroianni, depuis qu'il a connu son premier amour, est devenu inapte à la bandaison — une condition qu'il décrit à son cousin, Tomás Milián (une scène courte mais touchante et dont les conséquences seront révélées à la toute fin), au creux d'une magnifique confession — dans une société qui glorifie la virilité masculine à tous les étages, familial, religieux, professionnel.

Et le pauvre hère, il va en bouffer de la pression sociale par tout son entourage, et tout particulièrement son père, très bien interprété par un Pierre Brasseur dont l'honneur virile est bafoué par ce "mariage non-consommé". Expression abominable qui en plus de cela se double d'une rumeur se propageant comme une traînée de poudre dans tout le village... Il faut dire qu'un an après le mariage tout le monde l'attendait, la grossesse de Cardinale, fille de notaire d'une beauté renversante mais elle aussi reproduisant plus ou moins involontairement le schéma traditionaliste martelé par ses proches et porté sur les apparences et la peur de ce que penseront les autres.

À l'époque, Marcello Mastroianni avait marqué les esprits avec son rôle de séducteur mondain par excellence dans La dolve vita, et en réaction immédiate il cassa cette image en incarnant la tragédie d'un homme aussi séduisant qu'impuissant, avec au moins autant de talent. Sa performance est vraiment remarquable, pris au piège d'un réseau de contraintes et de conventions qui s'est refermé sur lui violemment, le laissant dans une horrible situation, le déshonneur familial comme fardeau insoutenable. Il interprète de manière remarquable une sorte de Don Juan victime d'une réputation qui n'est même pas la sienne. Il n'y a pas de place pour l'amour platonique dans ce coin de Sicile, et du curé aux beaux parents en passant par la foule de voisins et de témoins lors du mariage, tous sont là pour dicter les règles et façonner les mœurs. Un film très puissant sur la pression exercée et l'humiliation subie en retour, avec une douleur dépeinte de manière percutante et sensible, et la folie qui guette ceux qui se soumettent à de pareilles injonctions — le père comme d'autres place la procréation au centre de tout et le non-respect de cette clause tacite le place au bord de la démence, lui qui de façon ironique mourra précisément en plein ébat.

img1.png, oct. 2023 img2.png, oct. 2023 img3.png, oct. 2023

mercredi 11 octobre 2023

Les maraudeurs attaquent (Merrill's Marauders), de Samuel Fuller (1962)

maraudeurs_attaquentA.jpg, oct. 2023 maraudeurs_attaquentb.jpg, oct. 2023
"Do you know what I'm going to do after the war? I'm going to get married and have six kids. Then I'm going to line them up and tell them what Burma was like. And if they don't cry, I'll beat the hell out of them."

Merrill's Marauders épouse très bien la catégorie des films de guerre américains à budget modéré ayant fleuri dans les décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, et Samuel Fuller y a lui-même contribué de manière non-négligeable, en tant qu'ancien GI : J'ai vécu l'enfer de Corée (The Steel Helmet, 1951) et Au-delà de la gloire (The Big Red One, 1980) notamment. Ils appartiennent à un sous-genre auquel j'associe d'autres films et d'autres cinéastes comme Côte 465 (Men in War, 1957) de Anthony Mann, Attack! (1956) de Robert Aldrich, L'enfer est pour les héros (Hell is for Heroes, 1962) de Don SiegelBastogne (Battleground, 1949) de William A. Wellman.

Fuller ne s'est jamais caché au sujet de son aversion pour la guerre, liée à son expérience personnelle, sans pour autant s'adonner à des pamphlets cinématographiques militants. En choisissant le cadre d'un conflit en marge de la WW2 en Birmanie, où des soldats américains sont engagés auprès du général Frank D. Merill (sur la base de faits réels) dans des combats contre les soldats japonais non pas conventionnels mais plutôt dans une démarche d'escarmouche et de piège, il s'intéresse beaucoup plus aux difficultés quotidiennes des troupes avançant dans la jungle hostile. Bien sûr on ne nous épargne pas quelques séquences d'affrontements entre deux armées, avec des fusillades, des explosions, et toutes ces caractéristiques soporifiques en ce qui me concerne, mais ce n'est manifestement pas l'intérêt principal ici.

On parle ainsi beaucoup de l'angoisse qui précède les assauts, de la dureté des commandants qui ne laissent pas les soldats se reposer pour empêcher coûte que coûte la réunion des armées japonaise et allemande, des conditions extrêmes dans lesquelles les colonnes progressent (avec une prédominance de maladies tropicales mortelles). En ligne de mire : un régiment de 3000 hommes et sa décimation, ne laissant qu'une centaine de Gis survivants. En découle un récit très fonctionnel, sans grande surprise, pas aussi fortement critique vis-à-vis de l'engagement américain que ce qu'on pourrait attendre étant donnée la réputation de Fuller (l'horreur de la mission est claire, mais on glorifie comme toujours le corps militaire), avec un personnage de général interprété par Jeff Chandler (son tout dernier film, avant une opération médicale qui tourna très mal) assez conventionnel dans son respect affiché pour les hommes sous ses ordres mais en même temps contraint par la hiérarchie de poursuivre la boucherie.

img1.jpg, oct. 2023 img2.jpg, oct. 2023 img3.jpg, oct. 2023

mardi 10 octobre 2023

La Peur (O Fovos), de Kostas Manoussakis (1966)

peur.jpg, sept. 2023
Profils paysans

Dans un coin de campagne grecque des années 60, une famille de paysans propriétaires terriens : le père autoritaire, la mère effacée, la fille entre deux mondes, le fils dont le portrait laisse assez vite entrevoir des difficultés d'ordre psychiatrique, et leur jeune servante sourde-muette. Un jour, un drame survient, un homicide involontaire après une agression (sexuelle) plonge le foyer dans une crise tétanisante, en même temps qu'il lie malgré eux tous les membres de la famille dans la tragédie et dans la dissimulation du corps que père et fils iront jeter dans un lac avoisinant. Et ils pensent que cette virée macabre dans leur barque fendant les roseaux lacustres sonnera la fin des ennuis...

Il y a dans O Fovos un entrelacs de motifs assez classiques sur la thématique de l'oppression familiale, du carcan moral en milieu rural, et de tout un spectre de frustrations variées au milieu desquelles trône la frustration sexuelle (le fils subit durement sa trentaine vierge, pourrait-on dire pour résumer brutalement), qui aurait pu dans d'autres circonstances aboutir à un film convenu et paresseux. Mais Kostas Manoussakis, pour son troisième et dernier film, a su réunir autour de lui les talents de personnalités dont le travail, toutes proportions gardées, fait écho à celui de Tony Richardson pour Mademoiselle (1966) et Kaneto Shindō de Onibaba (1964).

La Peur, jolie pépite du cinéma grec, entraîne lentement mais sûrement dans une atmosphère malsaine, de temps en temps suffocante, pour dépasser de manière originale le simple statut d'énième film prenant pour thème les pérégrinations d'un frustré des campagnes aux tendances psychotiques. À vrai dire, la peur éponyme, c'est celle du coupable à l'origine de la tragédie auquel le film nous pousse (voire nous contraint) à nous identifier, à partager les angoisses et la sensation d'être considéré comme un animal par ses proches. Tout n'est pas réussi dans la mise en scène, mais la confection de cette ambiance sonore dérangeante avec ses musiques et bruitages dissonants, ainsi que la représentation des accès de folie tantôt incapacitante, tantôt violente, forment des atouts incontournables de cette vision de la ruralité loin de l'idylle. La scène finale qui met en scène un bal de mariage, avec chorégraphie des corps qui forment une ronde autour du protagoniste au creux d'un montage de plus en plus percutant qui s'accorde à la musique pour faire exploser l'animosité latente insoutenable, en marge de la découverte du corps, est vraiment exceptionnelle.

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lundi 09 octobre 2023

Le capitaine Volkonogov s'est échappé (Kapitan Volkonogov bezhal), de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov (2022)

capitaine_volkonogov_s-est_echappe.jpg, sept. 2023
S'évader du NKVD

Le capitaine Volkonogov s'est échappé est un film de coulisses portant sur une thématique bien connue, et c'est cette dimension-là de captation à la marge qui en constitue l'argument principal à mes yeux. Les coulisses des grandes purges staliniennes de la fin des années 1930, juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale, vues à travers les yeux d'un membre de la police politique (le NKVD) précisément en charge de la mise en œuvre de cette répression — arrestations, interrogatoires, torture, exécution. Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov ont eu l'excellente idée de ne pas se lancer dans un réquisitoire trop évident sur l'horreur frontale mais plutôt de suivre le point de vue très subjectif de Volkonogov, hier tortionnaire et aujourd'hui victime du régime, dans sa fuite. Il en résulte un film original, dans l'environnement décrit, au plus près des hommes en rouge du Service de sécurité nationale, et un film haletant, dans l'échappée immersive d'un capitaine se sachant condamné, au creux d'un microcosme façonné par les persécutions politiques et leurs conséquences.

C'est annoncé assez tôt dans l'intrigue : la fuite prendra la forme d'une quête de rédemption pour le protagoniste, frappé d'une vision lui révélant que pour l'absoudre de ses crimes, il devra affronter le regard des familles des personnes qu'il a torturées et obtenir leur pardon. Le trait est un peu épais mais il a le mérite d'être annoncé clairement plutôt que de se cacher dans un coin, et cette configuration permet de se confronter nous aussi, aux côtés de Volkonogov, aux séquences répétées au cours desquelles il va présenter ses excuses. L'effet d'annonce, au sens où on sait qu'il va parcourir les fiches de renseignement du dossier qu'il a volé et se confronter à différentes situations difficiles, fonctionne vraiment très bien et nourrit une tension parallèle à celle de sa propre fuite.

Une fois la chasse à l'homme lancée, le film se structure ainsi autour de ces rencontres qui se succèdent entre un ancien bourreau (devenu proie) et des proches de personnes exécutées par le régime policier totalitaire. Il faut reconnaître à Youri Borissov un talent manifeste dans la composition du rôle-titre, partagé entre la peur, le traumatisme, la ténacité et la révélation quasi-mystique, et aux auteurs un talent formel incroyable dans la confection d'une ambiance graphique crédible et prenante. Les confrontations se déroulent dans des lieux à chaque fois très différents, et la première d'entre elles fait partie des plus marquantes — une séquence dans une morgue, au fond d'une cave, en compagnie d'une ancienne médecin. Il y a quelque chose d'indélébile dans ces séquences qui recherchent des petits bouts d'humanité au sein d'une déshumanisation par définition, doublé d'un sentiment tragique de pardon impossible.

Il y a aussi un équilibre persistant dans les rues de Léningrad transformée en ville-fantôme, avec d'un côté une inclination réaliste qui ne nous épargne pas quelques moments de violence crue et de l'autre côté cette dimension symbolique, allégorique, dans la recherche du pardon de la part d'un Sisyphe errant machinalement d'un parent de victime à un autre. La structure narrative est émaillée de flashbacks relativement brefs, alimentant souvent un climat froid et angoissant, qui portent sur des épisodes de la vie de Volkonogov, un épisode de torture (sans esbroufe, en appuyant juste comme il faut) par-ci, une démonstration de mise à mort (un peu trop appuyée dans sa tonalité glaciale à mon goût, avec les victimes qui défilent froidement comme du bétail, en miroir de la séquence finale) par-là.

Il ne faut donc pas rechercher dans Le capitaine Volkonogov s'est échappé une reconstitution précise, historique et exhaustive d'un système totalitaire, mais plutôt une sorte de tableau expressionniste partagé entre des visions d'horreur et des répétitions presque comiques, le film n'étant pas avare en humour noir — il faut voir Volkonogov réitérer ces "votre proche a été exécuté, il lui a été appliqué des méthodes spécifiques", comme une déformation professionnelle, suivi d'un laconique "pouvez-vous s'il vous plaît me pardonner ?", dans un état de faiblesse et d'apathie maximales. En résulte un voyage temporel et sensoriel, poisseux et étouffant, insistant sous certains aspects (qui se révèleront plus ou moins comme des entraves à l'appréciation) mais qui en tous cas m'a vigoureusement saisi.

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